samedi, novembre 23, 2024

Optimisme technologique contre pessimisme économique

Publié vendredi 31 mars dans Les Echos.

Les économistes ont bien des
raisons d’être pessimistes face à l’épuisement des leviers de croissance :
des taux d’intérêt qui ne peuvent plus baisser, un niveau record de dette
publique et une population active vieillissante. Conséquence : une
croissance faible, des ménages moroses et des tentations protectionnistes
menacent de tirer commerce et croissance mondiale un peu plus vers le bas. Notons
cependant que ces experts n’ont jamais vu venir le retour de la croissance. Tous
la pensaient durablement faible en 1996, au point de convaincre le président
d’alors de dissoudre l’assemblée pour réunir la majorité capable réduire le
déficit sous les 3%. Or la croissance était de 1,4% en 1996, mais elle
atteindra 3,6% en 1998, 3,4% en 1999 et 3,9% en 2000.
Parlez plutôt aux ingénieurs et
aux chercheurs : ils seront intarissables sur le nombre de technologies émergentes
prometteuses : développement logiciel agile sur le « cloud » (qui permet
réaliser des applications simplement et à coût très faible, capable de saisir des
gains de productivité jusqu’ici inaccessibles), edge computing (un microcontrôleur a deux euros grand comme un
ongle a 4000 fois la puissance de calcul utilisée par Apollo 11 pour déposer un
homme sur la lune), médecine (avec la baisse du coût du séquençage de l’ADN, la
thérapie sera adaptée au patient pour plus d’efficacité et moins d’effets
secondaires), intelligence artificielle (longtemps décevante, elle réalise des
prouesses, comme l’identification de tumeurs sur des images médicales),  agriculture (les « fermes
urbaines » passent de l’utopie à la réalité) ou énergie (les énergies
renouvelables et le stockage sont plus abordables que jamais).
Pourquoi ces innovations tardent-elles
à se transformer en croissance ? Erixon et Weigel (« The innovation
illusion »), identifient quatre réponses à cette question. D’abord le « capitalisme
gris » : une allocation des investissements réalisée par des
gestionnaires d’actifs choisis pour leur compétence en finance plus que leur
expertise technologique ou industrielle. Ils perçoivent bien les tendances de
marché, beaucoup moins les technologies qui feront la croissance de demain.
Avec pour conséquence la seconde
cause, le « management incrémental ». Celui des chefs
d’entreprise choisis pour leur capacité à tenir des objectifs, à réduire
l’incertitude, à réaliser des plans ou des acquisition plus qu’à imaginer de
nouveaux marchés, stimuler l’innovation ou saisir les opportunités liées aux
technologies émergentes. Au temps de Ford, ils auraient cherché à produire des
chevaux plus rapides, pas à inventer l’automobile.
La troisième cause, indirecte, est
la mondialisation : les efforts et l’attention consacrés à croître à
l’international réduisent indirectement les moyens consacrés à l’innovation. En
se spécialisant pour atteindre une taille critique, les entreprises perdent la
visibilité de l’ensemble de la chaîne de valeur, et par conséquent leur
capacité d’innovation. La dernière cause est liée à la régulation, la
protection de « l’ordre public économique » étant défavorable aux
innovateurs ou instrumentalisée pour protéger les acteurs en place.
L’Etat peut réagir et adopter une
régulation plus favorable à l’innovation. Aider à prendre conscience du
potentiel de la technologie, notamment via la formation initiale et la publication
de roadmaps technologiques. Réduire les déficits publics en ciblant les
économies de fonctionnement pour rééquilibrer l’épargne allouée à la dette
publique vers les investissements innovants, tout en réduisant son propre
retard technologique. Eviter les contre-signaux : voiture électrique
régionale, fourchette connectée, taxe sur les robots.
Pour les entreprises matures,
distribuer une grande part des profits n’est pas un mal en soi : cela
permet de réallouer des fonds vers des secteurs en croissance. Grâce aux
méthodes agiles, la transformation numérique des entreprises industrielles peut
passer par une succession de projets, chacun rapidement rentable. La question
n’est donc pas celle du volume des investissements, mais de leur nature –
« digital washing » ou réel engagement sur des projets structurants ?
Un Chief Digital Officer symbole d’une transformation inachevée ou ayant
mission et moyens pour réellement impliquer les directions opérationnelles ?
Ce qu’il y a entre l’optimisme
technologique et le pessimisme des économistes n’est donc pas une
contradiction. C’est une illusion dont nous sommes à la fois causes et victimes,
et qu’il ne tient qu’à chacun d’entre nous de dissiper.

Vincent Champain, cadre dirigeant
et président de l’Observatoire du Long Terme (https://longterme.org)
À propos

Dédié à l'analyse des questions économiques, sociales et environnementales de long terme, L'Observatoire du Long Terme se fixe pour objectif de donner davantage de visibilité à ces enjeux dans le débat public. Dans ce contexte, il donne la parole à des contributeurs variés, avec pour seul critère le caractère étayé des arguments présentés.

L'Observatoire est indépendant, ne reçoit aucune aide financière et repose sur le volontariat de ses contributeurs, de son bureau, présidé par Vincent Champain et Bruno Fuchs.

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