Publié le 11 mai dans Les Echos.
L’aspiration à la liberté est incarnée politiquement par les libéraux, qui prônent notamment la réduction des normes ou des impôts. Le besoin d’égalité s’exprime quant à lui davantage à gauche, par le renforcement des services publics et des allocations. Il est en revanche difficile de distinguer un camp en faveur de la troisième mais pas la moindre de nos valeurs : la fraternité.
Sa traduction en lois est certes moins évidente que pour les deux premiers principes de notre devise, au point qu’une circulaire a défini la fraternité comme « la loi de l’amour ». La constitution de 1791 prévoyait des fêtes nationales pour entretenir la fraternité des citoyens. Celle de 1848, que les citoyens contribuent au bien commun en s’entraidant fraternellement. Le principe de fraternité est à l’origine du droit à la subsistance par le travail, le secours aux nécessiteux, le droit à l’instruction, l’abolition de l’esclavage, la décolonisation, le suffrage universel ou la création du RSA. L’application par le conseil constitutionnel du principe de fraternité est néanmoins récente : en 2018, il juge anticonstitutionnel le fait de sanctionner l’aide désintéressée aux migrants.
Mais alors pourquoi cette valeur est-elle absente de l’offre politique, effacée par le débat entre liberté et égalité ? La première raison tient au caractère dual de la fraternité : la fraternité « externe » qui s’applique aux migrants clive plus les français que la fraternité « interne » des fêtes nationales. Le contexte économique est en outre peu favorable à cette valeur : les tensions sur le pouvoir d’achat, les doutes sur les retraites et les menaces sur l’économie poussent plus aux conflits de répartition ou à la recherche de boucs émissaires qu’aux dissertations sur la loi de l’amour ou en faveur de la tolérance ou de la cohésion sociale. La troisième raison tient à l’évolution du débat politique qui semble plus orienté sur le développement du nombre de followers réunis par une même indignation qu’au développement de leaders capables de les rassembler autour d’une cause commune. Réagir semble être devenu plus important que réunir.
Comment rendre notre pays plus fraternel ? Francis Fukuyama apporte des éléments de réponse dans ses travaux sur les facteurs de cohésion. Le premier facteur est la taille du groupe avec lequel les citoyens interagissent au quotidien. Plus il est large, plus il sera difficile au groupe de faire preuve d’empathie : des profiteurs peuvent en effet bénéficier de l’action collective sans y contribuer en se dissimulant derrière l’anonymat d’une collectivité trop grande pour que chacun se connaisse. C’est moins le cas dans un village où les habitants s’appellent par leur prénom. Le deuxième facteur est l’existence d’une frontière claire entre ceux qui font partie du groupe et les autres – avec qui développer une forte cohésion si le groupe a un périmètre flou ou mouvant ? Le troisième facteur est la fréquence des relations au sein du groupe : si les membres de ce groupe ont des relations régulières, chacun aura intérêt à collaborer dans la perspective de bénéficier de cette coopération la prochaine fois.
Quatrièmement, l’existence de normes ou d’une culture commune facilitent la compréhension mutuelle, l’alignement ou la résolution d’éventuels conflits. Cinquièmement, le niveau de justice et l’équilibre des rapports de force : ceux qui perçoivent la société comme inéquitable refuseront d’être fraternels avec ceux qu’ils estiment bénéficier de privilèges à leurs dépens, quels que soient leurs grades ou qualités. Le dernier critère est le niveau de transparence des règles et des décisions : cette transparence rassurera chacun que la société est conforme à ses promesses et assurera que l’on sanctionne les comportements « anti sociaux » de certains groupes d’individus.
Pour résumer simplement ce que nous disent ces facteurs, c’est qu’un pays plus décentralisé, moins inquiet de l’étranger parce que rassuré sur son identité, moins hiérarchique, plus équitable ou plus simple et transparent sera plus fraternel. Est-on bien sûr qu’un tel programme n’intéresse personne ?
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