Publié dans Le Point, le 20 juin 2025.
Rapport complet disponible ici : https://longterme.org/2025/06/%f0%9f%93%a2-rendez-vous-le-4-juin-a-lassemblee-nationale-pour-rearmer-la-democratie-a-lere-numerique.html
Les campagnes d’ingérence étrangère se multiplient mais se ressemblent – des « Macronleaks » aux élections en Pologne ou en Roumanie cette année. Toutes ces campagnes cherchent au fond la même chose : semer le trouble au sein du pays et au sein de l’Europe, décrédibiliser les institutions et ceux qui les font vivre et amplifier les oppositions au point de bloquer toute décision. Le débat public s’égare et s’éloigne des priorités, et la décision politique devient erratique ou fait l’objet de rejet.
Les causes profondes qui permettent ce chaos sont doubles : d’abord des problèmes réels, à la fois de grands sujets (comme l’impossibilité depuis 1974 à voter un budget à l’équilibre, ou la difficulté à définir un système de retraite qui évite de promettre aux uns des retraites intenables au prix d’un endettement supplémentaire pour les autres et de principes comptables masquant le coût futur des engagements) et des plus petits (accumulation de normes créant des situations ubuesques mal évaluées, difficulté d’accès aux services publics ou « bureaucratisation technologique » laissant les citoyens démunis face à des chatbots et des formulaires). Une campagne de désinformation se développe souvent sur des germes de défiance – dans les institutions politiques, les gouvernants ou leurs décisions.
L’autre cause de ce chaos, c’est l’évolution des technologies de l’information et l’avance prise par les ennemis de la démocratie dans l’usage de ces technologies. Ainsi a-t-on retrouvé[1] sur des faux sites de journaux un prompt oublié pour ses concepteur demandant de réécrire un article en prenant un angle défavorable aux politiques libérales du gouvernement Macron, et favorable à la classe ouvrière. Ainsi voit-on après chaque message d’une personnalité sur l’Ukraine des centaines de commentaires critiques ou insultants différents provenant de comptes en apparence différents mais qui peuvent très facilement être générés en un clic par une seule personne. Aussi assiste-t-on à des opérations qui utilisent des outils cyber criminels permettant de bloquer un site (comme celui du parti pro-Européen la veille des élections en Pologne) ou de pirater puis rendre publics des messages privés (comme de l’équipe de campagne démocrate rendus publics sur Wikileaks durant la présidentielle de 2016).
Le lien entre les groupes cyber criminels et les opérations d’influence est parfois explicite – comme dans le cas du piratage de Sony Picture lors de la sortie du film « The Interview », peu favorable à l’image de la Corée du Nord. Ce pays est d’ailleurs connu pour figurer à l’avant-garde des actions de piratage visant à dérober des crypto-monnaies, ou de la diffusion du rançongiciel Wannacry, qui a coûté plusieurs milliards et infecté des centaines de milliers d’ordinateurs dans une centaine de pays. Dans d’autres cas, les opérations de manipulations font appel à des prestations de services qui s’appuient sur les moyens de cybercriminels. Une fuite de données ayant frappé le groupe I-Soon début 2024 a permis de montrer que ce groupe criminel, outre ses activités lucratives « habituelles » telles que l’utilisation de rançongiciels, les fraudes à la téléphonie mobile ou la revente de données piratées, répondait également à des appels d’offres publics visant à attaquer des cibles gouvernementales.
Face à ces menaces, le récent rapport de l’Observatoire du Long Terme[2] propose de renforcer la lutte contre la cybercriminalité, qui sert de base logistique à ces opérations, ensuite de renforcer l’éducation aux débats en ligne (apprendre à identifier et vérifier la désinformation, rappeler la « nétiquette » des bonnes pratiques sur les réseaux). Et, surtout, utiliser pleinement le potentiel d’Internet pour informer, écouter ou décider plutôt que laisser nos ennemis le faire à notre place.
[1] ”Russia-Linked CopyCop Uses LLMs to Weaponize Influence Content at Scale”, Insikt Group, mai 2024.
[2] “Manipulation et polarisation de l’opinion : réarmer la démocratie pour sortir du chaos“, disponible sur www.longterme.org.