samedi, décembre 21, 2024

Innovation : n’oublier aucun maillon de la chaîne

L’innovation est au cœur des débats en France, et les gouvernements qui se succèdent y allouent temps, discours et postes ministériels. Cependant malgré les résultats obtenus par notre pays, certaines tendances ne s’inversent pas, et notamment:

  • Nous avons une capacité forte d’innovation et des français s’illustrent régulièrement par leur réussite dans bien des domaines. En revanche, nous avons une difficulté certaine à transformer ces jeunes pousses en champions mondiaux. Résultat, alors que la majorité des plus grosses entreprises américaines n’existaient pas il y a 50 ans, pratiquement aucune de nos grandes entreprises du CAC 40 n’est dans cette situation. Et parmi les « champions » dont la réussite est – à juste titre – célébrée, beaucoup ont une échelle essentiellement nationale. A l’inverse, nous constatons régulièrement que des français innovants préfèrent créer ou développer leur activité à l’international en s’installant ailleurs que chez nous.
  • Nous disposons d’un marché intérieur européen large, mais contrairement au Japon ou aux Etats-Unis, nos pôles mondiaux sont construits dans une logique « régionale » à l’échelle de l’Europe. Par exemple, chaque pays veut son pôle de nouvelles technologies et pousse ses champions nationaux, alors qu’un équivalent européen à la Silicon Valley devrait concentrer les compétences de toute l’Europe. Au lieu de celà, nous avons généralement autant de pôles de plus petite taille qu’il existe de pays, et il existe peu de raisons de penser que cette situation changera significativement à court terme.

  • Avec la crise et la nécessité de maîtriser la croissance des dépenses publiques, les dépenses d’investissement et de recherche (à l’origine inférieur en Europe) ont souvent été les premières victimes, alors qu’il aurait fallu faire l’inverse : faire porter l’ajustement sur les dépenses courantes, mais préserver les investissements qui ont à la fois le « multiplicateur » (c’est à dire l’impact sur la croissance d’un milliard de dépenses publiques) le plus élevé, et permettent également d’améliorer le potentiel de croissance. A cet égard, il faut cependant reconnaître au gouvernement d’avoir su protéger le crédit d’impôt recherche, l’une des meilleures décisions en matière de politique d’innovation.
 


L’innovation, une chaîne dont chaque maillon compte
S’agit-il d’une fatalité pour un « vieux » continent condamné à être moins dynamique que ses concurrents émergents ? Rien n’est moins sûr ! Mais nous devons au préalable comprendre que la réussite en matière d’innovation ce n’est pas seulement la recherche publique fondamentale (essentielle, mais où nous sommes plutôt bons), des entrepreneurs (il y a deux fois plus d’entreprises par habitant en France qu’aux Etats-Unis), mais également la capacité à s’ouvrir sur le monde (où nous sommes encore souvent timides, notamment en comparaison de nos voisins Allemands) et à reconnaître la nécessité d’avoir des entreprises qui grandissent, des grandes entreprises qui se développement et des « intrapreneurs » qui y contribuent.

L’innovation est en effet une chaîne dont chaque maillon compte. Il est d’abord nécessaire de passer de la recherche (dont la fonction est, selon un éminent chercheur, de transformer des crédits de recherche et beaucoup de café en idées innovantes) au concept. Ensuite, de premiers marchés doivent être conquis – c’est ce que font les entrepreneurs dans les startups, ou les équipes projets dans les grandes entreprises. Enfin, il faut passer des premiers marchés locaux aux succès mondiaux. Cette fonction relève avant d’avant « d’intrapreneurs », c’est à dire de personnes qui se situent généralement au sein d’entreprise devenues grandes, mais qui ont le goût du risque et l’énergie suffisante pour conquérir de nouveaux territoires.
La relation ambiguë au commerce mondial freine les innovations
Tous ceux qui se sont attelés à cette dernière tâche savent à quelle point elle est difficile, et souvent mal reconnues. Elle est la grande absente des débats, alors même que nous nous lamentons de notre difficulté à faire grandir nos entreprises. Sans négliger le rôle des entrepreneurs et des pigeons, nous gagnerions à nous intéresser davantage aux intrapreneurs : sans eux, nous perdrons l’essentiel des retombées de nos politiques d’innovation…



Par ailleurs, pour engager des projets d’innovation, les entreprises ont besoin de perspectives de débouchés larges. Malheureusement, notre pays a une relation ambiguë au commerce mondial, plus vu comme une menace que comme une opportunité. Pour preuve les débats qui s’engagent sur le projet d’accord économique entre Europe et Etats-Unis : alors que les Allemands y voient des débouchés, on entend surtout en France ceux qui y voient une menace. Et ce, alors que, contrairement à un accord à des pays à bas coûts ou pratiquant le dumping, l’accord avec les Etats-Unis est le meilleur moyen pour l’Europe de doubler la taille du marché accessible à ses entreprises, en l’étendant à un marché ouvert aux innovations et dont la croissance sera durablement supérieure à la nôtre du fait de la démographie. Et sans laquelle il sera moins intéressant de localiser en France ou en Europe un projet mondial d’innovation…
À propos

Dédié à l'analyse des questions économiques, sociales et environnementales de long terme, L'Observatoire du Long Terme se fixe pour objectif de donner davantage de visibilité à ces enjeux dans le débat public. Dans ce contexte, il donne la parole à des contributeurs variés, avec pour seul critère le caractère étayé des arguments présentés.

L'Observatoire est indépendant, ne reçoit aucune aide financière et repose sur le volontariat de ses contributeurs, de son bureau, présidé par Vincent Champain et Bruno Fuchs.

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