Publié dans Les Echos, le 29 janvier 2014
Les grands soirs fiscaux se terminent en petits matins lorsqu’ils veulent faire entrer dans notre fiscalité des idées plaisantes ou populaires, mais coupées de la réalité économique. Car la fiscalité ne peut durablement ignorer six principes.
- Couvrir tous les prélèvements. Ceux pesant le plus sur les entreprises sont les cotisations patronales, les plus fortes du monde. Faute de réduire la dépense, nous avons réduit la charge là où elle était la plus nocive : l’exonération des bas salaires et le Cice préservent l’emploi peu qualifié, et le crédit d’impôt recherche (CIR) celui des chercheurs, en ramenant les charges au niveau du reste du monde. Une réforme purement fiscale apercevrait un impôt sur les société (IS) amputé du Cice et du CIR, au lieu de voir qu’ils visent à réduire des charges excessives.
- Eviter l’isolement. Lorsque la France agit seule, elle part perdante et alimente l’image du pays où fleurissent les impôts. A l’inverse, lorsque la France agit au niveau de l’OCDE pour faire réfléchir aux évolutions possibles en matière de fiscalité numérique et à leur application simultanée, elle se donne de vraies chances de faire évoluer la fiscalité.
- Eviter les dogmes. Certains critiquent le CIR, sans savoir comme se décide l’implantation mondiale de projets de R&D. D’autres dénigrent les exonérations de cotisations – comme si les prix n’avaient pas d’importance en entreprise. On entend dire que les entreprises choisiront toujours la France pour ses atouts – en oubliant que des pays proches en offrent de comparables dans des conditions parfois plus attractives.
- Différencier bons et mauvais prélèvements. Les meilleurs sont « à double dividende ». Ainsi, on estime que la tonne de CO2 a un coût social d’environ 30 euros. Une taxe de ce montant rapportera à l’Etat, tout en bénéficiant au climat. Ces prélèvements sont les seuls dont l’augmentation peut, en soi, améliorer le bien-être. D’autres prélèvements sont indispensables parce qu’ils procurent aux Etats la majorité de leurs revenus – taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TICPE), taxe sur la valeur ajoutée (TVA), impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés… Leur existence n’est pas questionnée, mais leur simplicité et leur cohérence internationale doivent être débattues. Il existe enfin des impôts nocifs. Par exemple, la taxe sur les transactions financières, qui aura pour seul effet de déplacer des emplois hors des pays qui l’appliqueront. En outre, le crédit politique auprès de nos partenaires, dilapidé sur cette taxe, ne sera plus là pour des causes telles que le prix du CO2.
- Donner de la visibilité. L’incertitude a l’effet d’une taxe : les entreprises ajouteront une « marge de sécurité », en plus de la fiscalité applicable, lorsqu’une situation annoncée en début d’année pourra être remise en question. De la même façon, les enquêtes montrent que les chefs d’entreprise estiment les charges à plusieurs points au-dessus de leur niveau réel. Le premier objectif d’une réforme devrait donc être de réduire ces « taxes virtuelles » qui pénalisent l’économie sans rapporter à l’Etat.
- Etre réaliste. La fiscalité repose aussi sur des conventions. Est-il logique que les intérêts d’emprunt soient déductibles, mais pas les dividendes ? Cela peut se discuter en théorie. Mais, en pratique, le monde entier applique cette distinction, et un seul pays ne peut pas faire différemment, sauf à condamner ses industries capitalistiques.
Une réforme ambitieuse devrait donc se donner le temps d’analyser les faits, de mobiliser nos partenaires (OCDE ou Europe) et de dialoguer avec les entreprises pour assurer le maintien des incitations à investir. Il est enfin essentiel de ne pas cliver artificiellement : les faits ne sont ni de gauche ni de droite – ils sont. Et il coûte de plus en plus à la France de les ignorer.
Raphael Coin, directeur fiscal de General Electric France
Vincent Champain, co-président de l’Observatoire du Long Terme