dimanche, décembre 22, 2024

Brève histoire de la cybersécurité

Le premier pirate électronique

C’est lors d’une démonstration du
télégraphe en 1903[1] ,
que le public assista à la première attaque cyber connue : des insultes
envoyées par Nevil Maskelyne, un magicien frustré par les brevets de Marconi
qui limitaient son utilisation de cette technologie. Il lui a suffit d’émettre
sur les fréquences utilisées par la télégraphie, aucun système de cryptage ne
venant empêcher l’envoi d’un message non désiré.
Nevil Maskelyne 

A partir des années 1950, ce sont
les réseaux téléphoniques qui sont visés, notamment pour obtenir des
communications gratuites. Les pirates (dont les futurs fondateurs d’Apple)
utilisent des fréquences spécifiques, qui permettent de commander les
commutateurs[2]. La
sécurité était alors limitée, certaines de ces fréquences s’obtenant avec
un sifflet trouvé dans un paquet de céréales !
John
« Captain Crunch » Draper

Les débuts du code malveillant
Le premier cas code malicieux est
le programme Creeper[3]
en 1971, qui se propageait de machine en machine en signant son passage. Il a
été suivi de la création du premier antivirus[4].

La cyber-sécurité est passée d’un
jeu à une menace diffuse avec le développement de l’accès aux machines à distance.
Dans les années 80, les premiers vols de données font l’objet de condamnations
aux Etats-Unis[5]. En
1983, le film War Games met en scène un adolescent qui pénètre des systèmes
informatiques – de celui qui conserve ses (médiocres) résultats scolaires au
système de lancement des missiles nucléaires. Il utilise pour cela son modem[6]
et profite de la faiblesse des protections d’accès (absence de système bloquant
l’accès au bout de plusieurs mots de passe infructueux).
Le trafic de logiciels piratés
A partir des années 80 et 90, des
groupes présents sur plusieurs continents proposent des serveurs de
téléchargement et des services de distribution postale de jeux piratés[7].

Ces flux d’échanges de logiciels s’accompagnent
des premières propagations de virus à grande échelle. Les outils des pirates deviennent
plus sophistiqués : logiciels enlevant automatiquement certaines des
protections les plus complexes, outils permettant d’interrompre le
fonctionnement de l’ordinateur et d’analyser ou copier le contenu de sa mémoire…
En 1989, le ransomware
« AIDS » apparaît, le premier du genre, créé par l’étrange Dr. Popp[8].
Il se propage sur une disquette de sensibilisation au virus du Sida, et l’essai
est plutôt raté : l’auteur est identifié (la clef de décryptage, identique à la
clef de cryptage était son nom), des logiciels de décryptage apparaissent et il
n’est pas sur qu’une seule victime ait envoyé au Panama les 189$ par voie
postale exigés par le logiciel.
Pendant ce temps, la protection
contre le piratage s’organise également, les dispositifs anti-copie[9]
ne faisant que retarder le travail des pirates, sans l’empêcher totalement.
Les attaques cyber modernes
Avec internet, les ordinateurs
sont la plupart du temps connectés. La donnée est devenue un actif qui a une
valeur– et par conséquence le coût des incidents de sécurité des données s’envole
– plus de mille milliards de dollars par an selon certaines estimations en
incluant perte de production, vols de données, pertes de revenus et dommages
matériels.  

Sources de coût
des incidents de cybersécurité (source : Accenture)

Les cyberattaques les plus
coûteuses relèvent[10]
soit d’erreurs catastrophiques de la part de vendeurs de solutions, soit de
spécialistes agissant généralement en trois étapes[11] :
un premier point d’entrée dans le système, une escalade de privilège (afin de
disposer de droits plus étendus que ceux accordés à un utilisateur normal) et
des actions malveillantes (falsification ou exfiltration de données, émission
de commandes malveillantes, diffusion de ransomware…).
L’attaque cyber commence généralement
par l’exploitation de failles humaines (utilisateur ouvrant un document
douteux…) et techniques (« bug » permettant d’obtenir un accès,
mauvaise conception laissant reprogrammer un objet connecté, défaut de sécurité
réseau, défaut dans un microprocesseur,…). Des bases de données recensent les
milliers de failles des différentes versions de chaque logiciel : le tableur
Excel présente ainsi plus de 200 vulnérabilités, Amazon en a recensé 88 sur son
offre cloud. On peut en outre acheter sur le « Darkweb » des
failles encore inconnues. Il existe enfin des outils qui permettent de générer
le code malicieux qui tirera parti des failles présentes sur une cible, puis d’assurer
que ce code sera indétectable par les logiciels antivirus. En utilisant des
réseaux comme Tor[12],
le pirate peut continuer à piloter l’ordinateur infecté tout en protégeant son
anonymat.
Ces failles concernent aussi la
conception physique des ordinateurs : ainsi, les attaques utilisant des
clefs USB « intelligentes » négligemment laissées en évidence et
capables de prendre le contrôle d’un ordinateur se multiplient. Récemment,
Bloomberg a dévoilé l’existence de microprocesseurs espions placés sur les
cartes électroniques d’équipements informatiques[13]
à l’insu de leurs utilisateurs. D’autres attaques[14]
utilisent des réseaux d’ordinateurs ou d’objets connectés zombies, infectés
puis lancés par centaines de milliers à l’attaque d’une cible (par exemple, un
site web).

Le futur de la cybersécurité
Sans disposer d’une boule de
cristal, il est probable que la menace cyber et les moyens de protection
continuent à évoluer de façon conjointe.
Les pirates vont continuer à
sophistiquer leurs attaques, en utilisant notamment les outils d’apprentissage
automatique (« IA »). Le développement des objets connectés (6 fois
plus nombreux que les individus à être connectés à internet, écart qui
continuera à augmenter) s’accompagnera d’une multiplication des attaques utilisant
ou visant un grand nombre d’objets. De nouvelles menaces vont apparaître – par
exemple, si l’informatique quantique améliore ses performances, elle mettra en
péril la plupart des méthodes de cryptages utilisées.
Du côté de la maitrise des
risques, les entreprises vont continuer de développer leurs équipes cyber et leurs
outils – par exemple avec le développement des dispositifs d’identification à
deux facteurs grand public. Le profil du « chief information security
officer » va évoluer – de l’expert technique au manager capable de mettre
en place une stratégie permettant de recenser, prioriser et réduire les risques
d’atteinte aux données, aux logiciels, aux infrastructures et aux personnes. Parce
que la plupart de ces risques partent d’une faille humaine, ces stratégies
reposeront de plus en plus sur le renforcement du facteur humain, l’insertion
de la cybersécurité dans une logique « business » et plus seulement le
déploiement de mesures techniques


[11]”Advanced
Penetration Testing: Hacking the World’s Most Secure Networks”, Wil Allsopp

À propos

Dédié à l'analyse des questions économiques, sociales et environnementales de long terme, L'Observatoire du Long Terme se fixe pour objectif de donner davantage de visibilité à ces enjeux dans le débat public. Dans ce contexte, il donne la parole à des contributeurs variés, avec pour seul critère le caractère étayé des arguments présentés.

L'Observatoire est indépendant, ne reçoit aucune aide financière et repose sur le volontariat de ses contributeurs, de son bureau, présidé par Vincent Champain et Bruno Fuchs.

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