jeudi, novembre 21, 2024

Le nucléaire accélère sa transformation digitale

 Publié dans La Tribune.

Digital pour le nucléaire : le grand rattrapage


Le secteur nucléaire a été
précurseur dans l’utilisation du calcul numérique. Il a conçu des jumeaux
numériques dès les années 70. Il a en grande partie inventé l’utilisation de la
simulation numérique pour le design avant qu’elle ne se diffuse largement dans
l’aéronautique ou l’automobile. Depuis, cette avance s’est en partie inversée pour
des raisons multiples – telles que le ralentissement des investissements dans
le nucléaire ou le développement du cloud, qui pose dans le nucléaire des
problèmes de souveraineté plus profonds que pour d’autres secteurs. Le secteur
reste bien positionné dans l’utilisation des supercalculateurs mais ce n’était pas
le cas au début de cette décennie pour l’utilisation des systèmes de gestion du
cycle de vie (PLM) ou de maîtrise des fabrications.

Depuis quelques années, la France
s’est engagée dans un nouveau programme nucléaire. Sous l’impulsion des
principaux donneurs d’ordre (au premier rang desquels figure EDF), le secteur a
augmenté ses investissements dans le numérique. Par exemple développer
l’utilisation de solution de PLM (qui permettent de gérer et d’échanger les
spécifications des produits et d’en suivre l’évolution sur le cycle de vie du
produit) ou d’entreprise étendue (qui permettent d’accélérer les processus en
remplaçant le papier ou l’échange de données non structurées par des logiques
d’entrepôts de données communs à toute la chaîne de fabrication). Contrairement
à une idée répandue, il ne suffit pas d’installer de nouveaux logiciels. Il
s’agit au contraire d’une transformation profonde qui demande d’améliorer
conjointement les flux de matière (processus industriels, gestion des écarts de
fabrication,…) et les flux d’information (échanges documentaires, analyse des
défauts, généralisation de modèles 3D,…). Ceci afin d’optimiser le « temps
métal » (le temps passé à des tâches directement productives) tout en
simplifiant et en accélérant les échanges de données. A titre d’exemple, un
générateur de vapeur – une pièce de plus de 20 mètres de haut et pesant plus de
500 tonnes – s’accompagne d’une documentation équivalent à 15 fois le plus long
roman français, « à la Recherche du Temps Perdu ». Et ce n’est
pas du Proust !

Coûts, sécurité et compétitivité

In fine, ces investissements
bénéficieront aux consommateurs d’électricité nucléaire  permettant à la
fois de maitriser les exigences de sécurité, les coûts et les délais. Ils
accompagneront la standardisation des composants et des processus et
contribueront à un meilleur pilotage de la performance des équipements. Ils
permettront également à la filière française de renforcer sa compétitivité et
de gagner des contrats à l’export – avec à la clef des bénéfices importants en
termes de balance commerciale et d’emploi à haute valeur ajoutée. En effet, si
l’attention se porte actuellement, à juste titre, sur le programme national,
cette compétitivité internationale reste cruciale pour que la filière ne
connaisse pas à l’issue du programme français la même baisse d’activité qu’elle
a pu connaître durant les dernières décennies.

Mais ces développements vont
aussi bénéficier à l’extérieur de l’industrie, comme à chaque fois que l’on
développe une filière d’excellence. Ainsi, Framatome développe des solutions
digitales – cybersécurité, gestion de la performance des équipements, outils
pour l’ingénierie. Conçues pour le secteur nucléaire, elles sont aussi
proposées aux clients des industries critiques qui partagent le besoin de
disposer de solutions fiables, souveraines. On peut citer par exemple des
solutions permettant de surveiller le vieillissement de certaines pièces, ou
des solutions d’inspection à distance sécurisée, ou qui permettent de
d’organiser la production de rapports protégés des risques d’attaques
souveraines.

Le digital souverain

En matière de digital, l’industrie
nucléaire a trois caractéristiques atypiques qu’elle partage en partie avec
d’autres secteurs des industries critiques. D’abord, c’est une industrie dans
laquelle la France fait partie des leaders mondiaux. Les pays capables de
maitriser cette technologie et de construire de nouveaux réacteurs se comptent désormais
sur les doigts d’une main. C’est une vraie chance pour l’emploi et la recherche
mais cela se traduit par une compétition exacerbée entre les Etats qui
disposent de cette compétence. Cette concurrence impose de protéger les secrets
industriels et commerciaux d’une façon particulièrement forte, y compris
vis-à-vis de certains pays amis. Pour le digital, cela implique que certaines
des solutions Cloud – qui sont le standard dans d’autres industries – ne
peuvent pas être utilisées telles quelles. C’est la raison pour laquelle nous
développons des solutions digitales souveraines pour son propre usage comme
celui de ces clients en cyber sécurité industrielle, ou en optimisation de la
performance.

Ensuite, le nucléaire est ce
qu’on appelle une industrie critique : un problème de qualité pouvant
avoir des conséquences considérables, tout est fait pour que cela n’arrive pas.
On préfère décaler la date de mise en service d’un réacteur plutôt que prendre
le moindre risque d’accident. On choisira de refaire une pièce ou un geste
technique s’il y a le moindre doute sur sa capacité à tenir face aux contraintes
là. On multiplie les regards internes et externes pour assurer qu’il n’y ait
aucun doute sur la sécurité – des inspections faites par nos soins, par nos
clients ou leurs prestataires, par différentes autorités de sureté…  Là encore le digital peut apporter beaucoup
pour partager l’information permettant de faire ces vérifications de façon à la
fois plus sûre et plus efficace, ou de compléter ces vérifications avec des
outils d’intelligence artificielle.

Enfin c’est une industrie
fortement régulée : la maitrise des risques est au cœur de tous les
produits et les services que nous fournissons. Cela induit un volume important de
données liées à la documentation des produits et la preuve du respect des
exigences que doivent remplir nos produits ou service. D’autres secteurs – par
exemple l’industrie pharmaceutique – partagent cette caractéristique, mais
c’est dans le nucléaire qu’elle est la plus contraignante.

Plus d’architectes, moins de plombiers

Pour des ingénieurs ou des
experts du digital, c’est un terrain de jeu exceptionnel : ailleurs où
leur tâche consiste à intégrer des solutions faites hors de nos frontières. Le
nucléaire fait une part plus large à l’expertise technologique et
l’architecture. Evidemment, quand une solution standard répond aux besoins, c’est
celle-là que l’on va l’utiliser. Mais nous sommes très souvent confrontés à des
situations dans lesquelles le standard de marché n’est pas suffisant pour
garantir nos exigences de sécurité ou de souveraineté.

De façon schématique, la
répartition du temps entre l’activité de « plomberie » (laisser un
prestataire appliquer des solutions qui sont des standard de marché) et l’activité
« d’architecture » (trouver des solutions efficaces à des problèmes
nouveaux) donne dans notre secteur une part plus importante à l’architecture. La
transformation digitale (où l’intrication des flux de matière et d’information
est plus forte), la nature des profils (plus techniques) ou celle des projets
(plus complexe) sont différentes dans le nucléaire. Et c’est souvent çà qui fait
la différence pour ceux qui nous rejoignent !

À propos

Dédié à l'analyse des questions économiques, sociales et environnementales de long terme, L'Observatoire du Long Terme se fixe pour objectif de donner davantage de visibilité à ces enjeux dans le débat public. Dans ce contexte, il donne la parole à des contributeurs variés, avec pour seul critère le caractère étayé des arguments présentés.

L'Observatoire est indépendant, ne reçoit aucune aide financière et repose sur le volontariat de ses contributeurs, de son bureau, présidé par Vincent Champain et Bruno Fuchs.

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