Les chiffres du PIB semblent éloquents : exprimée en dollars, la croissance économique américaine a surpassé celle de la France de 33% ces quinze dernières années.
Le facteur monétaire
Cependant, comme le souligne Paul Krugman, les fluctuations du dollar jouent un rôle majeur dans cet écart. La valeur de la devise américaine est passée de 0,6 euro en avril 2008 à 0,9 aujourd’hui. Cette appréciation, qui reflète la vigueur de l’économie américaine, dépasse le cadre franco-européen : le billet vert s’est renforcé de 25% face aux autres monnaies depuis 2008.
Ces variations ne sont pas inédites : le taux de change dollar/franc a connu des pics similaires au milieu des années 80, en 2000 et actuellement. Des périodes de repli ont suivi, comme au début des années 90 ou après l’éclatement de la bulle internet. On peut supposer qu’un scénario similaire se produira lorsque la bulle technologique actuelle se dégonflera.
L’aspect démographique
Toutefois, le taux de change n’explique pas entièrement l’augmentation de l’écart de richesse entre la France et les États-Unis. Pour comparer véritablement la prospérité des deux nations, il faut considérer la richesse par habitant. Or, la croissance démographique américaine, supérieure à celle de la France, explique environ 14% de la différence de PIB entre 2008 et 2023. Il faut également prendre en compte l’impact sur l’innovation de l’attractivité américaine pour les talents mondiaux, y compris français : plus de la moitié des doctorats aux États-Unis sont décernés à des personnes d’origine étrangère.
La révolution numérique
En termes de productivité, trois facteurs distinguent les États-Unis de la France : l’accès à un vaste marché homogène, la flexibilité pour lancer ou ajuster une activité, et surtout, depuis une décennie, l’essor du numérique. Six entreprises en particulier – Microsoft, Amazon Web Services, Meta, Alphabet, Apple et Nvidia – ont joué un rôle crucial. Leur chiffre d’affaires cumulé atteint 1165 milliards de dollars en 2023, ayant progressé de 1000 milliards depuis 2008, soit l’équivalent de 3,5 points du PIB américain.
Ce phénomène dépasse le cadre franco-européen : hormis la Chine dans certains domaines, aucun autre pays n’a réussi à développer des entreprises contribuant autant à la richesse nationale.
Une comparaison nuancée
Bien que ces « trois D » (Dollar, Démographie, Digital) soient essentiels pour comprendre l’écart de richesse, il est crucial de ne pas négliger l’importance des réformes qui pourraient améliorer les chances de la France (ou plutôt de l’Europe, pour des raisons d’échelle) de développer une industrie numérique compétitive. Il est également important de coordonner les initiatives européennes en matière d’IA souveraine.
Parmi les réformes nécessaires, on peut citer l’attraction des talents étrangers, le renforcement de la recherche scientifique, l’amélioration de l’éducation, l’augmentation des capacités de financement de l’innovation, la fluidification du marché intérieur européen, et la mise en place de politiques de concurrence efficaces.
Voir l’article original ici : https://longterme.org/2024/09/lecart-france-etats-unis-vu-en-3d.html