Simplifier dans la durée

Publié dans Les Echos le 8 février 2024.

Le coût de la complexité administrative est estimé à près de 5 points de PIB, et il s’agit de la pire des taxes : elle réduit notre revenu et notre temps libre sans apporter un centime aux finances publiques. Une taxe très inégalitaire : la difficulté d’accéder au bon médecin spécialiste, la capacité à comprendre les subtilités de la réglementation ou l’obtention d’une autorisation pour réaliser des travaux ne touchent pas tous nos concitoyens de la même façon. Enfin, la France est loin de faire partie des meilleurs pays sur ce sujet : le classement qui fait référence – « Doing Business » de la Banque Mondiale – place la France en 30e position, loin derrière le Danemark (meilleur européen), les Etats-Unis ou le Royaume-Uni.

90% des Français estiment que la simplification administrative devrait être la priorité du gouvernement. Nombreux sont ceux qui ont annoncé vouloir simplifier, mais rares sont ceux qui ont dépassé des succès isolés tels que la refonte d’un code, le prélèvement à la source, des formulaires administratifs en ligne ou la déclaration d’impôts pré-remplie. Aucun n’a réussi à mettre en place des mécanismes qui permettent de juguler durablement l’augmentation de la charge réglementaire. La voie la plus facile à aborder reste généralement en jachère : réduire le nombre, le volume et la complexité des textes nouveaux. Au contraire, chaque gouvernement a apporté sa contribution à la complexité de textes « que nul n’est censé ignorer » – la dernière en date est le barème des primes à la réparation qui figurera dans les annales de la sophistication administrative : 7 euros pour un trou de pantalon, 18 euros pour une semelle en gomme, 8 euros la petite braguette ou 15 euros la grande. L’illisibilité des textes a également été un moyen de concilier des promesses ambitieuses et des moyens qui le sont moins : si les droits sont suffisamment difficiles à exercer, les annonces les plus généreuses peuvent ne rien coûter.

On connait pourtant depuis longtemps des méthodes qui fonctionnent pour simplifier la bureaucratie. Le lean est né au Japon dans les années 50 en réaction aux inefficacités induites par le modèle de production Tayloriste, et ceux qui s’intéressent à la simplification administrative peuvent utilement s’inspirer de ses principes. D’abord, réduire les silos séparant ceux qui conçoivent les règles de ceux qui les appliquent, les seconds étant généralement les mieux placés pour identifier les problèmes et y apporter une solution. Ensuite, en donnant des incitations et le temps aux administrations pour lutter contre toutes les formes d’inefficacité : les stocks, les délais d’attente, les manipulations ou transferts inutiles de dossiers, les modalités de traitement excessivement complexes par rapport à l’objectif visé ou les sources d’erreurs telles que des instructions confuses. Il serait judicieux de consacrer plus d’efforts à la production de textes efficaces, notamment en améliorant fortement la qualité des études d’impact qui les accompagnent, trop souvent indigentes et généralement muettes sur le coût induit par l’application des textes. L’amélioration continue est enfin un principe utile pour corriger rapidement les leçons de textes ou de processus de gestion inefficaces.

On pourrait compléter ces méthodes micro-économiques par une approche macro-économique.  Pour cela, il suffirait de mesurer et de publier le niveau de « l’impôt en temps » que payent annuellement les français et leurs entreprises pour se conformer aux textes – une estimation précise par sondage serait suffisante et aurait un coût très limité. Afficher ainsi l’évolution de la charge réglementaire supprimerait la tentation consistant à préférer des réglementations complexes à des dépenses publiques – la charge de ces dernières pour les français étant actuellement plus transparente que ne l’est celle des coûts réglementaires. Une telle publication permettrait également au gouvernement Attal et à ses successeurs de suivre dans la durée des objectifs de baisse de la complexité administrative. On pourrait ainsi viser et atteindre des cibles de simplification ambitieuses et mesurables à long terme, au lieu de se limiter à des mesures symboliques.

À propos

Dédié à l'analyse des questions économiques, sociales et environnementales de long terme, L'Observatoire du Long Terme se fixe pour objectif de donner davantage de visibilité à ces enjeux dans le débat public. Dans ce contexte, il donne la parole à des contributeurs variés, avec pour seul critère le caractère étayé des arguments présentés.

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