vendredi, novembre 22, 2024

Stratégie IA : tirer les leçons de l’uberisation

Publié dans Les Echos.

Il y a onze ans, Uber démarrait son activité en France. En 2016, le verbe uberiser était ajouté au Petit Robert. Les plateformes internet ont alors transformé l’emploi de deux façons. D’une façon directe  liée à la disparition d’emplois d’interaction – ni Uber, ni les VTC, ni leurs clients ne passent plus de temps à la mise en relation entre clients et véhicules. Le deuxième effet tenait à l’augmentation des emplois de production (les chauffeurs), la demande étant stimulée par la baisse des prix et la plus grande efficacité des mises en relation.

L’uberisation a supprimé des emplois d’interaction (centres de relation des sociétés de taxi) mais elle a démultiplié les emplois de production : on compte à Paris 23.000 VTC alors que le nombre de taxis est resté d’environ 18.000. Le revenu des « insiders » (les chauffeurs de taxi) s’est réduit au profit de l’accès à l’emploi des « outsiders » (les chauffeurs de VTC) : le prix d’une plaque de taxi est passé de 220.000 à 120.000 euros. D’autres secteurs ont connu une situation similaire : les ventes de chaussures en magasin ont reculé au profit des ventes sur internet, avec pour conséquence le développement des marques de luxe (tirées par les influenceurs) et des marques low-cost (dont l’accès au client a été facilité) au détriment des marques dont le succès tenait davantage à un réseau de magasins.

L’IA génératrice, la technologie derrière les outils tels que ChatGPT, va-t-elle entrainer une transformation similaire ? Pour répondre à ces questions, nous avons décomposé l’emploi par secteur en trois catégories : production, interaction et conception. Les activités de production ont été les premières touchées par la mécanisation et la robotisation, mais les perspectives futures devraient s’équilibrer entre les gains de productivité et les relocalisations d’emplois.  L’uberisation a transformé les secteurs qui dépendent d’emplois d’interaction. Mais ce sont les secteurs qui contiennent des emplois de conception qui seront touchés par l’IA génératrice : recherche, enseignement, conseil, juridique, ingénierie ou services informatiques. Avec trois conséquences : d’abord, les entreprises les plus promptes à tirer partie de ces technologies gagneront en compétitivité. Ensuite, l’évolution de l’emploi dépendra de la capacité de ces secteurs à proposer plus pour moins car comme le montre l’exemple des traducteurs, il n’y a en effet pas de fatalité à une réduction de l’emploi : les traductions grossières (notices de produits bas de gamme) sont uniquemnt réalisées par des logiciels mais les traductions de qualité (une traduction automatique suivie d’une correction humaine) ont vu leur coût réduit et leur accès facilité, avec au total plus de travail pour les traducteurs qui se sont adaptés à ces évolutions. Enfin, si les services de conception sont locaux, ils devront utiliser des composants logiciels (chatGPT ou autre) généralement mondiaux qui prélèveront une « dîme numérique » sur chaque service rendu.

On peut en déduire ce que devrait être une stratégie française. Premièrement, assurer que les entreprises outillent leurs salariés au plus vite au lieu de vouloir comme certaines écoles interdire l’outil –en agissant sur les formations ou les efforts des filières plutôt qu’en créant des aides ou des guichets publics qui n’ont jamais été source de compétitivité. Ensuite, simplifier les régulations sectorielles et garantir un effet emploi positif, en tirant les leçons du cas des VTC ou des traducteurs. Pour limiter la « dime numérique », le chemin pour l’Europe passe probablement plus par l’open-source que la création d’un « airbus de l’IA ». Une autre voie est le projet promu par Tim Berners-Lee, l’inventeur du web : permettre à chacun de conserver la propriété de ses données et le contrôle des applications qui les utilisent. Cette vision reste à affiner, mais elle donnerait un avantage certain à nos pays aux régulations protectrices, tout en rendant au consommateur la valeur tirée de ses données.

(c) https://longterme.org https://longterme.fr

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