Dans quelques semaines, les pays réunis à la Conférence sur le climat de Paris (COP 21) tenteront de conclure un accord visant à limiter le réchauffement climatique à 2°C d’ici à la fin du siècle.
Pour limiter le réchauffement, il faut à terme ne plus émettre de gaz à effet de serre. Or, sauf à arrêter de respirer, nous ne serons jamais dans un monde sans gaz à effet de serre. Ce sont les émissions nettes qu’il faudra annuler, en ne conservant que les émissions de gaz inévitables et celles qu’il serait trop coûteux de réduire, tout en développant des moyens de compenser ces émissions (en plantant des végétaux ou des technologies existantes ou restant à inventer).
En théorie, le meilleur outil pour pousser à la réduction des gaz à effet de serre est un « prix carbone » unique, payé pour chaque tonne de gaz émise. Ainsi, les technologies peu carbonées pouvant remplacer à un coût modéré des technologies qui le sont plus deviendront rentables. A l’inverse, les solutions qui ont un coût par tonne de gaz évitée tellement élevé qu’elles n’ont pas de sens économique ne trouveront pas d’équilibre financier. Au total les efforts seraient concentrés là où ils sont le plus efficaces.
Cette idée simple se heurte cependant à trois difficultés. D’abord, la dépendance aux gaz à effet de serre varie fortement : 650 grammes de CO2 par dollar de revenu national en Chine, 340 aux Etats-Unis, 210 en Allemagne ou 140 en France. Un prix unique induirait donc des efforts inégaux, difficiles à faire accepter. Deuxièmement, un prix unique ne distingue pas les pays développés (dont l’industrialisation a causé une part significative du stock actuel de gaz à effet de serre) et les pays en voie de développement (qui revendiquent un « droit de tirage » équivalent). Enfin, ce prix présente à la fois un impact « incitatif » (en incitant au développement de technologies bas carbone) et un impact « punitif » (en poussant à la réduction, voire à la fermeture, de secteurs émetteurs). Or si le premier impact ne pose que des questions budgétaires, le deuxième impact peut menacer des milliers d’emplois.
Ces difficultés ne sont pas insurmontables, mais elles conduisent à séparer deux choses. D’une part, définir une valeur de référence carbone, qui permet d’informer chacun sur la valeur mondiale de ce que devrait valoir ou coûter à long terme une tonne de co2. D’autre part, mettre en place des prix carbone qui donnent des signaux économiques – incitatifs ou punitifs – poussant entreprises et ménages à émettre moins. Définir une valeur de référence est un travail technique qui relève d’experts. Mettre en place un prix est une décision politique qui définit l’effort demandé à chaque pays et chaque secteur économique. Elle se traduira mécaniquement par « des » prix différents selon la dépendance au co2, les moyens économiques pour agir et la nature des besoins d’adaptation des secteurs intensifs en co2. Le Burkina Faso et la Suède ne seront pas au même niveau avant plusieurs générations. L’Allemagne ou la Pologne s’opposeront aux projets demandant des ajustements brutaux à leurs secteurs émetteurs. L’écotaxe a montré que des sensibilités existaient également en France.
Il est donc urgent de définir une valeur de référence mondiale qui fasse l’objet d’un consensus scientifique au moins des principaux pays concernés. Une telle référence donnerait une cible claire aux industriels et aux innovateurs. Chaque pays pourrait ensuite implémenter sous la forme d’une trajectoire de prix « duale », c’est-à-dire un prix « incitatif » destiné à donner l’incitation la plus forte possible aux technologies vertes, et un prix « punitif » visant à réduire les émissions existantes à un rythme acceptable. Sans cette multiplicité des prix, l’hétérogénéité des pays et les enjeux sociaux des secteurs émetteurs rendront tout consensus impossible, et il ne se passera rien du tout. Or le temps presse.