La préférence française pour les machines
Les syndicats et une partie de la classe politique ont dénoncé les caisses automatiques, mise en place par plusieurs supermarchés. En permettant aux clients d’enregistrer eux-mêmes leurs achats, ces caisses menaceraient 80.000 à 200.000 emplois de caissières, selon les organisations syndicales. De la même façon, les cinémas UGC permettent à leur client d’acheter leurs billets directement sur des automates. La SNCF a emprunté la même voie en orientant ses clients vers les automates (essayez d’obtenir un billet en moins de 20 minutes aux heures de pointes en passant par le guichet !). Cette évolution traduit plusieurs tendances :
– d’abord, l’évolution des métiers : il n’y a plus de poinconneurs des lilas, remplacés par des automates dans tous les pays développés. De la même façon, les métiers les plus mécaniques sont appelés à être remplacés ;
– ensuite, le coût relatif de la main d’œuvre peu qualifiée dans les services, qui conduit les entreprises française à remplacer une partie de cette main d’œuvre par des investissements (sur ce sujet, voir l’étude de Thomas Piketty publiée dans Economie et Statistique n°318) ;
– plus généralement, une tendance française à traiter les salariés comme des machines, et si possible à remplacer les seconds par les premiers (cf les développements sur ce thème dans « Pour une sécurisation des parcours professionnels »).
Les deux dernières tendances relèvent de facteurs purement nationaux, et appellent donc à des solutions locales :
– le coût relatif de la main d’œuvre pose deux questions. D’abord, celui de l’assiette des cotisations sociales : une grande partie de nos prestations sociales sont relativement bon marché (les dépenses de santé français en % du PIB sont très inférieures à celles des USA, pour une efficacité bien meilleure) mais elles pèsent sur une mauvaise assiette – les salaires. La solution est simple : faire peser le financement de la santé sur d’autres contributions (le budget général, par exemple, ce qui revient à faire peser ce financement sur la première de ses recettes, à savoir la TVA). Ensuite, l’écart relativement modeste entre les salaires les plus bas et les salaires les plus hauts (donc le SMIC est la principale explication) : la faiblesse de cette écart n’est pas un problème en soi (plusieurs études tendent au contraire à montrer qu’une société trop inégalitaire est moins heureuse), mais les outils utilisés pour réduire ces écarts tendent à peser sur l’emploi peu qualifié. Il existe deux solutions : faire employer massivement les personnes en bas de l’échelle des salaires par l’Etat (cas Danois, via les emplois de service à la personne et d’accueil des enfants), ou subventionner les emplois à bas salaire (qui est l’une des raisons d’être de la prime pour l’emploi) – et sans doute un mélange des deux si l’on veut éviter de concentrer les personnels les moins qualifiés dans le secteur public et leur permettre, via la promotion interne, d’évoluer dans le secteur privé (il existe des exemples de caissière passées responsables d’équipes de caissières puis chef de rayon, puis responsables de magasin : s’il n’y avait plus de caissière, le critère du diplôme empêcherait ces personnes d’arriver à de tels postes) ;
– la tendance française à un management « froid » – plus axé sur la technique que sur l’entraînement et la motivation des hommes et des femmes – renvoie à des causes multiples, et profondément ancrées dans notre société. Un peu comme si le recrutement devait constituer la dernière solution à chaque problème, malgré les discours lancinants sur le thème « la véritable richesse de cette entreprises, ce sont les hommes ». Cette tendance culturelle est évidemment liée aux précédentes : si l’embauche de salariés est complexe et coûte cher, il est normal que se créent des habitudes qui tiennent compte de cet état des lieux, même une fois qu’il cesse d’être vrai. Ainsi les entreprises surestiment-elles encore massivement le niveau des charges au niveau du SMIC (de l’ordre de 20 % après allégements) : malgré un niveau de charges désormais modeste au niveau du SMIC du fait des exonérations de cotisations sociales, les entreprises raisonnent encore comme si les charges étaient élevées !
Faire plus de social pour être plus compétitifs : le triple progrès.
La première cause de mécanisation tient à un fait simple : on gagne généralement à remplacer les emplois les plus mécaniques par des machines. Mais si l’on remplace les caissières par des machines, avec des caissières qui restent au chômage, c’est une erreur économique qui coûte cher à la société qui accepte cette situation. Si, au contraire, elles peuvent trouver un emploi au moins aussi attrayant pour elles (condition remplie par beaucoup d’emplois) alors c’est un triple progrès économique – un progrès pour les consommateurs qui payeront moins cher (et payeront moins de cotisations visant à financer l’indemnisation du chômage), un progrès pour l’entreprise qui améliorera ses coûts, et un progrès pour le salarié qui quitte un emploi mécanique, précisément parce que cet emploi mécanique est occupé par une machine. Au contraire la France de 2007 :
– plaint les chômeurs, mais ne fait rien pour les aider à trouver un emploi qui leur correspond ;
– glorifie les entreprises mais ne fait rien que les progrès de gestion ne soient pas lestés pare de la casse sociale ;
– promet des gains de pouvoir d’achat aux français, en omettant de résoudre la contradiction entre consommateurs (qui gagnent aux gains de productivité) et salariés (qui y perdent souvent).
Pour bénéficier du triple progrès économique, nous devons pouvoir fournir à ceux et celles qui occupaient un emploi rendu sans objet des emplois plus attrayants. La générosité de notre modèle doit rester forte, mais elle ne peut plus se mesurer au niveau de stabilité des postes et des statuts. Notre modèle social doit au contraire changer de paradigme et aider enfin la recherche d’emploi – les innovateurs et les créateurs feront le reste.