L’Opinion, juillet 2018
Publié en 2001, cet ouvrage de Jim Collins n’a été traduit que récemment en France. Du reste, la version française («De la performance à l’excellence ») est loin d’avoir connu le même succès que la version internationale – plus de 4 millions d’exemplaires vendus dans le monde, chiffre exceptionnel pour un livre de management. Soit quatre fois plus que le roman « Belle du seigneur », publié il y a cinquante ans et traduit en 13 langues.
Ce livre traite d’un sujet essentiel : qu’est-ce qui explique que certaines entreprises ont pu dégager sur plusieurs décennies une performance durablement supérieure à la moyenne ? Pour répondre à cette question, l’auteur a mobilisé plusieurs dizaines de chercheurs, analysé durant cinq ans des milliers d’entreprises pour d’abord identifier ces champions de la croissance durable, avant de déterminer en quoi elles différent des autres entreprises, en utilisant à la fois sur des informations financières et des entretiens avec leur management.
Premier constat, le type de patron qui fait gagner l’entreprise sur le long terme n’a pas le profil du patron superstar qui fait la couverture des magazines. Selon Jim Collins, il n’y a pas non plus de corrélation entre le niveau de rémunération et celui des résultats sur longue période. La réussite n’est pas non plus liée à une « décision héroïque » (acquisition majeure ou programme d’amélioration de la performance). C’est même l’inverse : dans un autre ouvrage[1] consacré au déclin des entreprises leaders dans leur domaine Jim Collins affirme que ce genre d’initiative traduit davantage le dernier stade avant la fin !
Le dirigeant performant n’est pas « brillant », au sens où il ne se distingue pas par sa capacité à parler où à incarner une époque, mais, au contraire, par sa capacité à tracer une voie différente. Jim Collins rejoint ici Alexandre Grothendieck, sans doute l’une des mathématiciens les plus brillants du 20e siècle : « j’ai eu l’occasion, dans ce monde des mathématiciens qui m’accueillait, de rencontrer bien des gens (…) qui visiblement étaient beaucoup plus brillants, beaucoup plus « doués » que moi. Je les admirais pour la facilité avec laquelle ils apprenaient, comme en se jouant, des notions nouvelles, et jonglaient avec comme s’ils les connaissaient depuis leur berceau – alors que je me sentais lourd et pataud, me frayant un chemin péniblement, comme une taupe, à travers une montagne informe de choses qu’il était important (m’assurait-on) que j’apprenne, et dont je me sentais incapable de saisir les tenants et les aboutissants. En fait, je n’avais rien de l’étudiant brillant, passant haut la main les concours prestigieux, assimilant en un tournemain des programmes prohibitifs. La plupart de mes camarades plus brillants sont d’ailleurs devenus des mathématiciens compétents et réputes. Pourtant, avec le recul de trente ou trente-cinq ans, je vois qu’ils n’ont pas laissé́ sur la mathématique de notre temps une empreinte vraiment profonde. (…) Ils sont restés prisonniers sans le savoir de ces cercles invisibles et impérieux, qui délimitent un Univers dans un milieu et à une époque donnée. Pour les franchir, il aurait fallu qu’ils retrouvent en eux cette capacité́ qui était leur à leur naissance, tout comme elle était mienne : la capacité́ d’être seul. »
Pas nécessairement doué pour briller en surface, le manager performant sait poser les bonnes questions, et s’intéresse aux détails de son activité – pas pour les gérer lui-même, mais pour avoir une compréhension suffisante pour fixer les objectifs et les grandes orientations. En plus de cette humilité, qui tourne à la timidité voire à la maladresse dans certains cas, les « super patrons » se distinguent par une forte détermination – une fois décidée la direction à donner à l’entreprise, ils font preuve d’une volonté inébranlable pour l’atteindre. Car la performance d’une entreprise tient plus du marathon que du sprint – n’en déplaise celle et ceux qui ne vivent que par les résultats trimestriels. Jim Collins souligne enfin qu’un plan d’économie ou un effort demandé à l’ensemble de l’entreprise peut avoir une utilité à un moment précis, mais ne suffit pas à faire un dirigeant exceptionnel.
Un autre enseignement du livre tient à la gestion des talents : « qui avant quoi ». C’est-à-dire que le premier talent d’un chef d’entreprise sera de faire monter à bord les bonnes personnes qui aideront à définir le cap, plutôt que de fixer seul ce cap. Comme l’a dit Steve Jobs « il est stupide de recruter des gens intelligents pour leur dire quoi faire. Nous recrutons des gens intelligents pour que ce soit eux qui nous disent quoi faire ! ».
Ce livre traite de bien d’autres aspects, comme le développement du leadership, ou l’utilisation pragmatique de la technologie – en sélectionnant celles qui apportent une valeur prouvée à l’entreprise, et dont le développement est compatible avec l’ADN de l’entreprise. Plus d’une décennie après la publication de ce livre, il est devenu un classique. Pourtant, qu’il s’agisse de la sélection des managers, de la gestion des talents ou des transformations liées à la technologie, il gagnerait à être relu !
[1]« How the mighty fall »