Deux articles dans The Economist de cette semaine : le premier sur le retour des entrepreneurs, le deuxième sur le chômage. Le journal ne fait aucun lien entre les deux.
Je pense que c’est une erreur. Ceux qui cherchent à créer une activité (entrepreneurs) ont exactement le même rôle que ceux dont la fonction va être de quitter une activité défaillante pour aller vers une activité en développement (chomeur). C’est le concept de « classe créative » développé dans un récent rapport (dans une définition différente de la version proposée par Richard Florida).
Le point de vue consistant à considérer les « chercheurs d’emploi » comme étant au coeur de la classe créative, que j’avais développé avec Jacques Attali ici oblige à changer de point vue. Et, en effet, c’est précisément parce que nous regardons le chômage par le petit bout de la lorgnette (« quand le sage montre la lune, la plupart regardent le doigt » dit le proverbe) que nous avons de grandes difficultés à le résoudre. Un comme si, confrontés à une voiture qui n’avance pas assez vite nous essayions de mettre plus d’essence (ou d’ajouter du kérosène) alors que le problème vient du fait que le chauffeur a des pieds trop larges, et appuie sur la pédale de frein en même temps que sur l’accélérateur : mettre du kérosène pourra accélérer un peu, au prix d’une surchauffe et d’une grande déperdition d’énergie…
La macroéconomie est une science parfois fort utile, notamment lorsqu’elle est employée avec recul et modestie. S’agissant du chômage, il est probable qu’elle ait un effet néfaste. Car que dit la macroéconomie du chômage ? Elle le présente ce phénomène comme la résultante de quelques carburants (exportations, consommation, investissements publics) dans une boite noire (l’économie française) dont elle ne retient des contradictions que le fait qu’elle présente des « rigidités » dont la suppression améliorerait le fonctionnement.
Un peu comme le responsable de la production de chaussures de l’ex bloc de l’Est ne voyait qu’une partie du fonctionnement des usines sous sa responsabilité (le nombre de chaussures produites, les quantités de cuir et éventuellement la paresse ou la médiocrité des ouvriers qui ne font décidément jamais ce que leur demande leur brillante hiérarchie) et négligeait l’essentiel : la cause principale de l’inefficacité d’une économie planifiée est invisible du planificateur centralisé, car c’est le fait qu’elle soit centralisée ! De la même façon, la cause principale du chômage est invisible du macroéconomiste, car c’est probablement le fait que ce phénomène ne soit abordé que d’un point de vue « macro ».
Prenons l’exemple de la crise financière. Pour le macroéconomiste, il y a eu trop d’investissement, ce qui appelle à une correction (trop d’investissements hier appelle à une réduction des investissements aujourd’hui). Pour en limiter les conséquences, l’Etat peut investir aujourd’hui à la place du reste de l’économie (il investira un peu moins demain en contrepartie). Avec un peu de chance cet investissement public aura un « effet multiplicateur » (c’est à dire qu’un million d’euros d’investissements publics générera des salaires en France, et induira donc des investissements supplémentaires).
On pourrait voir les choses autrement. La crise financière, c’est avant tout une économie qui « s’est trompé » (ou qui a été trompée), c’est à dire qui a mis ses ressources au mauvais endroit : les meilleurs élèves se sont dirigés vers la finance (et notamment la partie de la finance consistant à complexifier des financement qui n’aurait jamais été accordés s’ils avaient été simples) au lieu d’aller faire de la recherche ou de créer leur entreprise, des montages douteux ont fait apparaitre très rentables des projets ou des prêts qui ne l’étaient pas, des entrepreneurs ont développé le mauvais type de projets (dupés par des financements prenant mal en compte le risque, et des prix déformés par des montages faisant passer le plomb pour l’or,…), des chercheurs d’emploi qui sont allé dans le mauvais sens,…
Dans ce deuxième cas, il faut avant tout faire accepter la réalité telle qu’elle est. Les rendements « normaux » que l’on peut attendre ne sont pas de 15 % mais de 5 ou 6 %. Les secteurs qui apparaissaient « sexy » (tels que celui du crédit facile aux particuliers ou aux entreprises, ou une partie du secteur de la finance) sont en fait « ringards », et les secteurs qui apparaissaient peu rentables alors qu’ils répondent à des besoins forts et durables (services à la personne, infrastuctures…) doivent apparaitre à nouveau attrayants. Et, plus important que tout : il faut favoriser, développer la « classe créative », c’est à dire celle qui sera capable de prendre du recul par rapport aux errements passés pour identifier les secteurs de demain, plutot que les défenseurs du statu quo, bien intentionnés (garantir des emplois, au détriment de la compétitivité de demain ou de la création d’emplois durables) ou moins bien intentionnés (protéger une rente individuelle ou collective). Il faut notamment veiller à ce que les entrepreneurs puissent simplement construire leurs projets (et la complexité, le poids des impots sur les salaires ou les barrières culturelles sont souvent plus fortes que les problèmes de financement), et que les chercheurs d’emploi puissent bénéficier de diagnostics clairs sur leur situation, leur potentiel et les opportunités qu’ils peuvent saisir (on en est très très loin).
Celà n’ira pas de soi : en période de crise, il parait souvent urgent de rassurer et de prendre de « grandes décisions » structurantes. Et comme le disait Peter Drucker, l’entrepreneur « upsets and disorganises »…
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