Une dette publique élevée peut devenir « insupportable » pour au moins trois raisons :
A – un problème de soutenabilité économique, si son montant devient tel qu »il n’est plus possible d’acquitter les intérêts
B – un problème de soutenabilité politique, si montant est trop élevé par rapport aux actifs publics : dans ce dernier cas une génération recevant une dette forte et des actifs publics limités pourrait décider de cesser de payer une dette accumulée par les générations précédentes
C -un problème d’efficacité économique, le niveau de la dette pouvant freiner l’économie
A quels points situent les niveaux « insoutenables » sur chacun de ces trois critères ?
A -Le niveau soutenable économiquement dépendra surtout du montant des intérêts à payer, c’est à dire qu’il sera fonction du niveau de la dette, mais également du niveau des taux d’intérêt.
U pays qui aura 200 % de son PIB en dette avec des taux de 1,5% (cas du Japon) aura la même charge à payer qu’un pays qui aura 80% de son PIB en dette avec un taux de 4 % (cas de la France). Ceci explique comment le Japon peut soutenir sans problème une dette bien plus élevée (au moins tant que ses taux restent bas) que ne l’est, par exemple, celle de la Grèce.
Si on prend une hypothèse de taux de 4%, et si on estime que le niveau « insupportable » sera une ponction de 10 % du PIB uniquement destinée à la dette, le niveau de dette « plafond » se situe aux environs de 250 % du PIB. On en est encore loin…
Il est cependant difficile de définir quel est le niveau de ponction « insupportable » pour un pays.
Notons cependant que les dommages de guerre infligé à l’Allemagne dans les années 20, ne représentaient que 3 % du PIB (4 à 7 % selon d’autres études) – ce qui correspond à une dette de 80 % du PIB, c’est à dire le niveau français actuel…
B – Comme l’indique un billet précédent on peut calcul un « actif net public » (valeur des propriétés publiques – dette publique). Il est actuellement négatif. A quel niveau ce « passif » sera-t-il trop fort ?
Difficile à dire. Il faudrait en effet définir à quel niveau d’inéquité entre génération le contrat social peut se rompre. Et avant celà calculer un bilan plus fin que celui du billet précédent, en faisant différence entre :
- le rendement « socio économique » des actifs publics (connaissances, bâtiments, oeuvres d’art) – c’est à dire estimer la valeur qui en est tirée (en additionnant les loyers économisés, la plaisir à regarder des tableau, le gain en salaire lié à l’éducation,…).
- le coût de la dette (plus simple a calculer)
Ce bilan est difficile à calculer. En revanche, ce qui est plus simple à estimer est son évolution d’une année sur l’autre, par exemple durant 2009 :
- la création nette d’actifs (ie, la valeur de ceux créés moins la valeur de ceux disparus) peut être considérée proche de zéro. Ainsi, des jeunes ont été formés, mais le nombre de personnes partant à la retraite étant désormais plus fort que celui de ceux qui finissent leurs études, le « capital humain » n’a pas progressé
- l’augmentation de la dette a été bien réelle
Au total, le bilan s’est dégradé de 123 milliards, soit un cout annuel de 5 milliards (0,25 % du PIB) avec un taux d’intérêt à 4 %.
On peut, par ailleurs, estimer une « borne haute » pour le niveau non soutenable de la façon suivante :
- supposons que le niveau actuel de dette représente un actif net égal au plus à zéro (en ajoutant au bilan négatif cité précédemment la valeur des actifs immatériels)
- supposons qu’un niveau « inacceptable » d’inéquité est le cout de 3 % annuel infligé à l’Allemagne en 1920, et qui a constitué une cause importante de la crise social, monétaire et politique qui a conduit au nazisme
Dans ces conditions, le niveau de dette qui amènerait la France au bord du gouffre serait de 160 % du PIB : 80 % (niveau actuel) + 80 % (niveau correspondant à une ponction de 3 % par an sans contrepartie pour la génération qui la payerait).
C – Les effets négatifs de la dette sur l’économie peuvent être séparés en trois catégories :
i – des effets d’éviction (la dette publique consomme tous les financement disponibles et asphyxie le secteur privé)
ii – des effets dits « ricardiens » : les entreprises et les citoyens anticipent plus d’impôts ou moins de services demain, et réagissent à une hausse de la dette en réduisant leur consommation
iii – des effets d’incitation : la ponction réalisée chaque année pour payer les intérêts de la dette fait que les citoyens reçoivent moins en service que ce qu’ils ne contribuent en activité (une partie de leur activité est taxée pour payer les intérêts de la dette), ce qui réduit leur incitation augmenter leur activité
On peut estimer le seuil de rupture pour le point iii avec calculs comparables à ceux du point B. Il existe également quelques études sur les points i et ii (dont une, dont j’ai oublié la référence, du FMI ou de la banque mondiale), mais aucun ne permet de réaliser un chiffrage précis du niveau intolérable.