Démondialisation et protectionnisme : comment concilier défense du modèle social et efficacité économique ?

« C’est ainsi que le droit de douane annule délibérément l’effet de ce qu’on appelle le progrès, qu’il prétend nous ramener à l’état où le monde se trouvait lorsque les transports étaient sinon impossibles, du moins extrêmement onéreux. Un droit de douane disait Bastiat, c’est un antichemin de fer. » (J. Rueff, 1980)

Les droits de douane ont mauvaise presse auprès des économistes, qui y voient des outils de protection de certains secteurs économiques insuffisamment compétitifs au prix d’une « taxation » invisible des consommateurs – la collectivité dans son ensemble étant globalement perdante, seuls les secteurs protégés étant gagnants.


A ce sujet, le prix nobel Paul Krugman citait l’anecdote suivante : imaginez un chef d’entreprise textile qui invente une machine miraculeuse qui grâce à un procédé secret, permet de diviser par 10 la production de chemises. Immédiatement, l’inventeur serait célébré comme un héros capable de démontrer l’ingéniosité nationale peut vaincre la force brute des bas salaires. Imaginez maintenant que l’on démontre en fait que la « machine miraculeuse » est en fait un entrepôt, duquel partent des convois qui expédient le textile en Chine et ramènent des chemises. Le héros serait alors immédiatement rabaissé au rang des délocaliseurs.

En partant de cette anecdote, on pourrait conclure que si l’on décidait de taxer les importations dans le second cas, il faudrait aussi taxer l’innovation. On ramènerait alors le débat sur les droits de douane au 
débat sur le modèle social : si la France peut avoir des chemises moins cher elle doit le faire, la seule question étant réussir à trouver un emploi de meilleure qualité pour les salariés et plus utile la société que la production de chemises trop chères ?

Il existe cependant d’autres types de « droits de douane », tels que la « taxe sur le carbone importé », qui vise à faire payer les coûts de dépollution qu’auraient du payer les entreprises des pays qui n’ont pas de réglementation sur les émissions. Il s’agit en effet ici de supprimer une « concurrence déloyale » en privant d’un avantage indu un concurrent dont la compétitivité se fait aux détriments de l’environnement. Il en va de même des « droits de douane sociaux », qui visent à compenser l’avantage indû dont bénéficient les pays qui font travailler dans des conditions de durée du travail, de sous formation, de représentation des salariés ou de santé indignes.

En effet, les importations de biens et de services importent indirectement un modèle social : si on souhaite disposer en Europe d’un modèle différent de celui du moins exigeant de nos partenaires (moins inégal, plus soucieux des salariés, plus écologique), il faut aller au-delà de la libre circulation des biens et services.

Si le principe théorique de ces droits est peu contestable, la mise en œuvre est extrêmement complexe – mais l’enjeu mérite probablement largement quelques études et la recherche du meilleur compromis possible entre complexité et efficacité. Reste ensuite l’essentiel : engager une discussion constructive avec nos partenaires économiques et associer ce projet à une politique ambitieuse d’aide au développement afin de convaincre nos partenaires qu’un tel dispositif ne constitue pas une mesure protectionniste déguisée mais, au contraire, une mesure parmi d’autres pour mettre en place une mondialisation plus humaine.
À propos

Dédié à l'analyse des questions économiques, sociales et environnementales de long terme, L'Observatoire du Long Terme se fixe pour objectif de donner davantage de visibilité à ces enjeux dans le débat public. Dans ce contexte, il donne la parole à des contributeurs variés, avec pour seul critère le caractère étayé des arguments présentés.

L'Observatoire est indépendant, ne reçoit aucune aide financière et repose sur le volontariat de ses contributeurs, de son bureau, présidé par Vincent Champain et Bruno Fuchs.

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