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La préférence nationale économique : une erreur, hier comme demain.

(Article publié dans Le Monde le 23 octobre 2012)
Imaginez qu’un chercheur invente une technologie qui divise par deux le coût de production d’une voiture. Sa contribution à la croissance et à la compétitivité ferait probablement l’unanimité. Supposez maintenant qu’un entrepreneur arrive à ce résultat en important une partie des pièces. Il y a fort à parier qu’il serait condamné par tous. Et pourtant, les deux auront exactement le même résultat sur l’emploi ou la compétitivité. 
Cette parabole empruntée au Nobel Paul Krugman, illustre la contradiction de la« préférence nationale économique ». Or, à l’heure où les efforts convergent pour renforcer la compétitivité des économies européennes, il est utile de rappeler quelques faits :
  • 30 millions d’emplois européens n’existent que grâce au commerce mondial, 50 % de plus qu’en 1995. Cette part sera croissante, le reste du monde croissant plus vite que nous : en 2015, il est probable que 90 % de la croissance mondiale soit créée hors d’Europe. Sans commerce international, nous ne pourrons en bénéficier.
  • Beaucoup de produits « made in China » sont constitués de composants du monde entier. Ainsi, un IPhone importé de Chine ne comporte que 4 % de coûts d’assemblage en Chine, 6 % de composants américains mais 17 % de composants allemands ! C’est donc en termes de valeur ajoutée qu’il faut raisonner, et non d’origine des importations.
  • Le décrochage de compétitivité de certains pays européens est d’abord un problème de concurrence entre pays avancés : l’Europe a globalement bien résisté et réussi à conserver ses parts de marchés mondiales vis-à-vis des émergents. Mieux, elle est encore loin d’avoir tiré tous les bénéfices possibles du libre échange : l’agenda de négociation en cours peut faire gagner 275 milliards d’Euros, soit l’équivalent de l’économie du Danemark. A cette fin, l’Europe a engagé un programme de négociations commerciales bilatérales sans précédent pour assurer une meilleure réciprocité des échanges avec ses partenaires et améliorer l’accès de nos entreprises aux marchés en croissance.

La première est celle des redéploiements : globalement bénéfique pour l’emploi, les échanges internationaux peuvent nécessiter d’accompagner les salariés de secteurs en déclin, vers de nouveaux emplois. Cette question dépasse largement le commerce : l’innovation stimule la croissance mais condamne les technologies dépassées; la transition énergétique développe les énergies vertes mais réduira les secteurs « carbonés »; les impératifs de sécurité de consommateurs, ou l’évolution de leurs goûts déplace également des emplois. Le défi est donc très large mais pas sans réponse: il s’agit de réinventer un modèle social pensé dans l’après-guerre pour le centrer sur l’évolution des personnes, et faire en sorte qu’il facilite le plein emploi et accompagne chacun durant toute la vie professionnelle en garantissant un service d’orientation, de formation et de coaching de qualité.

Face aux difficultés conjoncturelles, le commerce représente donc un levier de croissance essentiel, sous réserve d’adopter une stratégie ciblée à la fois sur le développement des échanges et la localisation en Europe d’une valeur ajoutée aussi forte que possible. Ce développement pose toutefois deux questions légitimes.
La deuxième question est celle du développement durable. Elle est d’abord interne : les produits des pays avancés ne génèrent pas moins d’émissions que ceux des pays en développement. Mais l’augmentation des normes environnementales de nos partenaires est également importante. L’Europe peut la favoriser par une triple action: montrer l’exemple, établir des coopérations bilatérales et définir des règles multilatérales.
Le protectionnisme est une tentation récurrente en période de faible croissance, mais il a entraîné le monde dans une spirale récessive après la crise de 1929. Or les arguments pour s’y opposer alors restent plus que jamais valides, car c’est durablement à l’extérieur de l’Europe que se trouveront des croissances supérieures à 3 %. Mais la voie de l’ouverture est exigeante ; elle impose à l’Europe de peser de tout son poids pour obtenir de ses partenaires l’ouverture de leur marché et un commerce loyal. En interne, il s’agit d’investir dans la lutte contre le changement climatique et d’adapter un modèle social aux réalités d’une économie moderne et ouverte, sans affaiblir son niveau de protection. 
Et de le faire rapidement, car le monde ne nous attendra pas.
À propos

Dédié à l'analyse des questions économiques, sociales et environnementales de long terme, L'Observatoire du Long Terme se fixe pour objectif de donner davantage de visibilité à ces enjeux dans le débat public. Dans ce contexte, il donne la parole à des contributeurs variés, avec pour seul critère le caractère étayé des arguments présentés.

L'Observatoire est indépendant, ne reçoit aucune aide financière et repose sur le volontariat de ses contributeurs, de son bureau, présidé par Vincent Champain et Bruno Fuchs.

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