lundi, décembre 2, 2024

Comment retrouver les chemins de la croissance ?



Derrière les interrogations sur la capacité des Etats à financer leurs
dépenses apparaît de plus en plus la question du retour de la croissance
économique. Deux approches complémentaires répondent à cette question.

La première approche est celle qui ressort des modèles macro-économiques ;
la croissance s’en déduit de variables telles que les taux, la croissance
mondiale ou les dépenses publiques. Elle restera faible tant que le contexte
sera incertain, pour rejoindre ensuite une « croissance potentielle » mal
connue, jadis fixée à 3 %, rabaissée à 2 % par réalisme.
Dans la deuxième approche « micro-économique », ce n’est pas la
croissance qui fait l’emploi, mais l’inverse. On peut y « battre les
prévisions » : tout demandeur d’emploi qui accède à une activité utile
économiquement augmente le PIB d’autant. 350 000 demandeurs le font et
c’est plus 0,5 point de croissance. Dans cette approche les « créateurs »
ont un rôle crucial : ils vont inventer des produits ou des services qui vont
au-delà de l’augmentation « mécanique » de la croissance.
La première approche dépend des actes de
grands décideurs ; la seconde nécessite une large classe créative1, composée de ceux qui,
scientifiques, artistes, ingénieurs, architectes ou fonctionnaires, inventent
ou permettent à de nouvelles idées, de nouveaux produits ou de nouvelles
organisations de prendre forme. Cette classe créative comprend également les
personnes en « recherche active d’emploi », occupées à créer les
conditions d’une nouvelle activité – salariée ou non. Les personnes qui
prennent le risque de quitter un secteur en déclin pour un secteur d’avenir
créent autant que l’entrepreneur qui les accueille !
Alors que les leviers macroéconomiques (dont les dépenses publiques)
échappent largement aux Etats, le développement de la classe créative apparaît
comme une nécessité. Il suppose trois éléments :
·        
un écosystème favorable, qui permette aux idées nouvelles de naître et de
prospérer, notamment par la rencontre des compétences nécessaires (créatifs,
designers, informaticiens, entrepreneurs etc.), la capacité à y allouer le
temps nécessaire et une indispensable tolérance à l’irrévérence ;
·        
des
infrastructures permettant de combiner idées, matériels et compétences, tels
l’accès à des réseaux de communication ou au financement, ainsi que la capacité
de créer et d’administrer simplement une entreprise ou de faire appliquer le
droit ;
·        
des
débouchés, c’est à dire pouvoir valoriser économiquement ou socialement la
création, et atteindre sans barrière un marché aussi large que possible (local,
national, européen ou mondial).
En matière de recherche et d’enseignement, ces principes supposent de viser
l’échelle européenne et mondiale, et d’accepter – sans en ignorer les
limites – l’enseignement en anglais et les classements internationaux.
Pour puiser dans un vivier large de talents, les Européens doivent s’unir : la
Chine ou les Etats-Unis ont 15 millions d’étudiants alors que la France seule
n’en compte que 2,2. En matière de partenariats de recherche, il faut
travailler avec les entreprises – y compris étrangères – capables de porter nos
innovations aussi loin que possible. C’est le concept d’économie «
Roland-Garros » : attirer des champions mondiaux, français ou non, pourvu
qu’ils créent de la une valeur ajoutée en France !
Pour permettre à plus de demandeurs d’emploi de faire partie de cette «
classe créative », il faut développer la recherche active : lorsqu’ils perdent
un emploi dans un secteur en déclin, les demandeurs n’ont souvent pas le réseau
ni les outils pour trouver où et dans quel secteur ils seraient les plus
utiles. Le système public doit à tous cette aide, et viser autant la recherche
d’emplois salariés que l’aide à la création de nouvelles activités ou
d’auto-entreprises. Il doit être évalué en priorité sur ces missions.
La noirceur des prévisions ne doit pas
nous cacher l’essentiel : la croissance dépend certes du contexte mondial ou de
la gouvernance européenne, mais elle dépend aussi beaucoup de notre capacité
collective à trouver à chacun la meilleure activité possible. Et les réformes
qui le permettront ne dépendent que de nous.
Article co-écrit avec Antoine Petit,
universitaire et directeur adjoint de l’Inria, et publié dans 
Les Echos le 29 février
2012.


Note

Concept emprunté au
sociologue Richard Florida, qui en retient une conception moins large dans «
The Rise of the Creative Class”
À propos

Dédié à l'analyse des questions économiques, sociales et environnementales de long terme, L'Observatoire du Long Terme se fixe pour objectif de donner davantage de visibilité à ces enjeux dans le débat public. Dans ce contexte, il donne la parole à des contributeurs variés, avec pour seul critère le caractère étayé des arguments présentés.

L'Observatoire est indépendant, ne reçoit aucune aide financière et repose sur le volontariat de ses contributeurs, de son bureau, présidé par Vincent Champain et Bruno Fuchs.

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