Pendant la crise, l’avenir continue

La crise appelle des réponses immédiates en matière sociale et
économique. Mais elle est surtout le symptôme d’une surdose de court-termisme :
avoir cru que les entreprises ou l’immobilier pourraient rapporter durablement
15 % avec une croissance de 3 %. Avoir cru que les déficits publics pouvaient
durablement s’accumuler sans que les prêteurs s’en soucient. Pour sortir
définitivement de la crise, c’est cette logique qu’il faut inverser.
Il fut un temps où les décisions de court terme étaient prises
en regardant le long terme, plutôt que l’inverse. Où le Commissariat au Plan
faisait partie des institutions qui pesaient le plus et où les travaux qu’il
dirigeait fixaient un cap. Entre ceux qui voient dans l’Etat la source de tous
les maux et ceux qui y voient la solution de tous les problèmes, on perçoit
désormais difficilement une réelle stratégie partant d’un diagnostic sans
complaisance des faits pour en déduire des propositions réalistes et bouclant l’équation
budgétaire.
Nous sommes arrivés au curieux paradoxe dans lequel les
multinationales, censées être instrumentalisées par des fonds de pension
court-termistes, pratiquent régulièrement des revues stratégiques, alors que
l’Etat, supposé incarner le long terme, s’en est privé. Pourtant, les faits
sont là : une étude de 2007 de la « Harvard Business Review » confirme le lien
vertueux qui lie la compétitivité d’un pays aux moyens consacrés à son avenir
(recherche, éducation, investissements, etc.). Et les travaux de la commission
du grand emprunt ont montré que la France s’appauvrit autant par des dépenses
de fonctionnement excessives qu’en sous-investissant.
Pourquoi la décision publique fait-elle aussi peu de cas du long
terme ? La première raison est méthodologique : les coûts se lisent facilement
dans les comptes, l’impact futur se lit péniblement dans des prévisions
contradictoires. Prenons le cas de l’aide aux démunis : la détresse des
personnes est visible et le coût des mesures qui y répondent à court terme est
mesurable. Mais on ne s’est donné que peu de moyens pour identifier et évaluer
les mesures permettant de sortir de cette situation. La réponse à cette
objection est claire : plus de moyens à l’évaluation des effets à court et à
long terme des politiques publiques pour aller « au-delà des comptes ».
L’autre raison est institutionnelle. Les politiques doivent
répondre aux problèmes immédiats, mais sont peu questionnés sur l’impact à long
terme. Ainsi, chacun reconnaîtra la nécessité de traiter la situation des
déserts médicaux et d’assurer la présence de médecins sur l’ensemble du
territoire. Y parvenir suppose des décisions difficiles : les perdants auront
accès à tous les médias, alors que les gagnants à long terme s’ignoreront. Et
il n’y a pas d’institution ou de « parti du long terme » qui ferait de cette
masse silencieuse son coeur de cible et bien peu de débats sur ces questions.
Regardons l’exemple du Danemark, qui a mis en place un Conseil
de la mondialisation, composé d’experts de toutes nationalités, qui a mené des
travaux visant à prendre les décisions permettant au pays de tirer le meilleur
parti possible de la mondialisation, dans un climat de débat public ouvert et
largement apolitique. Ces travaux ont ensuite permis d’orienter une stratégie
vers l’économie de la connaissance, l’innovation et l’entrepreneuriat.
Que faut-il à la France pour en faire de
même ? D’abord, un diagnostic non partisan et régulier des enjeux, forces,
faiblesses, opportunités et menaces pour notre pays à moyen et à long terme,
idéalement publié avant l’élection présidentielle -comme le furent les travaux
du rapport « France 2025 : un diagnostic stratégique » ou ceux du Conseil
d’orientation des retraites. Ensuite, un débat politique qui permette de
choisir des priorités et la personne qui les mettra en place. Après les
élections, une commission similaire à ce que fut la commission Attali, qui
détaille un plan d’action de mandat, accompagné d’une revue des politiques
publiques pour réaliser les redéploiements nécessaires pour financer les
priorités. En parallèle, il faut un vrai débat sur les questions de long terme.
Il passe par la mobilisation de la société civile, c’est-à-dire chacun d’entre
nous. Le débat sur le chiffrage des programmes est un premier pas qui ne
demande qu’à être dépassé.
Il faut en résumé plus de vrais débats sur ce qui relève des
choix politiques et moins de faux débats sur ce qui n’en relève pas, comme
l’état des lieux ou la performance réelle des politiques publiques. Car les
faits sont têtus : on ne les ignore à court terme qu’au prix de la préparation
des crises de demain. L’observatoire du long terme se fera donc une mission de
les rappeler.

Cet article a été publié dans Les Echos le 15
novembre 2011.

À propos

Dédié à l'analyse des questions économiques, sociales et environnementales de long terme, L'Observatoire du Long Terme se fixe pour objectif de donner davantage de visibilité à ces enjeux dans le débat public. Dans ce contexte, il donne la parole à des contributeurs variés, avec pour seul critère le caractère étayé des arguments présentés.

L'Observatoire est indépendant, ne reçoit aucune aide financière et repose sur le volontariat de ses contributeurs, de son bureau, présidé par Vincent Champain et Bruno Fuchs.

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