Le Capital au XXIe siècle (Seuil, 2013) de Thomas Piketty
connaît un succès mérité : son auteur a du talent (un des rares
économistes français dont la réputation dépasse nos frontières), de
l’opiniâtreté (il travaille depuis vingt ans sur les inégalités) et de
la chance (son travail aboutit au moment où l’opinion publique mondiale y
est sensible).
Extensif sur l’histoire économique et les données (fort intéressantes et par ailleurs disponibles ici), l’ouvrage l’est moins sur ses
propositions : taxer les revenus et les patrimoines les plus élevés.
Car pour l’auteur la cause
des inégalités croissantes est l’existence d’un
rendement du capital supérieur au taux de croissance de l’économie.
En l’absence des « remise à plat » qu’on constitué
historiquement les guerres et les impositions confiscatoires, le
capital (et ses revenus) augmenteront plus vite que l’ensemble des
revenus. Et les inégalités iront croissantes.
Mais la limite de ces propositions est d’omettre un piste la plus
évidente : si le rendement du capital est excessif, au lieu
d’attendre qu’il produise des inégalités pour les taxer, pourquoi
ne pas agir pour diminuer ce taux ? Et ce, en réduisant les
« rentes économiques », par exemple en développant l’accès
de tous aux projets les plus rentables (crowfunding, réforme de
l’épargne…), en réduisant le besoin en capital pour accéder à
un revenu (VTC, auto-entrepreneurs…), en développant les accords
commerciaux (qui réduisent les rentes locales aux bénéfices des
consommateurs), en développant la formation…
A l’inverse d’une taxe qui réduit, au moins à la marge, les
incitations à investir avec un risque pour la croissance, ces
mesures bénéficieraient aux consommateurs en réduisant les profits
(et donc la valeur du capital) des « possédants » tout
en favorisant une hausse des investissements et de l’emploi. Un
premier exemple est d’ailleurs donné dans le livre, qui montre que
l’essentiel de la hausse du patrimoine en France provient de
l’immobilier. Une politique d’offre vigoureuse aurait réduit la
valeur du patrimoine des propriétaires actuels tout permettant
l’accès des plus modestes à la propriété. Au lieu de celà, les
désincitations à investir dans de nouveaux programmes ont subsisté,
la hausse des prix a été stimulée par les aides alors
l’accélération des permis ou la hausse de la densité de
construction ont peu évolué. Et taxer plus les propriétaires
réduirait sans doute encore l’offre de logements !
Autre exemple, la 4e licence de téléphonie mobile
aurait permis aux consommateurs de bénéficier de 1,7 milliards
de pouvoir d’achat supplémentaire – soit près de 40% de ce que
rapporte l’ISF. Et ceci tout en écornant significativement le
patrimoine des actionnaires des trois précédents opérateurs. On
pourrait multiplier les exemples (notamment ceux mis en évidence par
Thomas Piketty dans son étude sur les causes du sous-développement
des emplois de service en France), et aboutir à un programme de
« destruction créatrice » à la Schumpeter, qui
rapporterait plus aux français qu’une hausse d’impôts,
réduirait la valeur du capital existant tout en libérant la
croissance et l’emploi. Et qui, mieux qu’une taxe sur le revenu ou le patrimoine, ferait la différence entre rentiers et
entrepreneurs.
Ce débat était déjà présent dans la critique de Marx faite
par Schumpeter en 1942. Et s’il faut reconnaître à Thomas Piketty
un travail remarquable sur l’analyse des inégalités, on peut
regretter que ses recommandations ne réalisent pas un meilleur
équilibre entre celles Marx et de Schumpeter.