Publié le 24 septembre 2014 dans l’Opinion
De l’avis des spécialistes des questions du climat, l’impératif climatique s’imposera à tous les citoyens du monde. Pour y répondre, des évolutions significatives de nos modes de vie, ainsi que des investissements considérables seront nécessaires. Le type même de changement impossible à réaliser sans une adhésion forte de la société, et donc des électeurs. Or non seulement l’enjeu climatique ne préoccupe qu’une petite minorité de Français, mais en plus, cette proportion tend à diminuer : 17 % en 2009, et à peine 8 % en 2012 [1]. S’il est probable que la tenue à Paris du sommet mondial sur le climat fin 2015 fasse remonter ce chiffre, le paradoxe démocratique est posé : comment résoudre le décalage entre l’opinion des électeurs, qui donne une priorité faible à ces enjeux, et le caractère massif des changements à réaliser, qui suppose au contraire de faire de l’écologie une priorité forte ?
La première question posée est scientifique : le réchauffement climatique est-il une réalité préoccupante ? Si oui, peut-on agir pour en limiter les dégâts ? Cette question contient une part de prospective : si les tendances passées sont connues, les évolutions futures doivent être modélisées. On ne peut donc que parler de probabilité forte, et la communauté scientifique est unanime : les experts mondiaux réunis au sein du GIEC estiment que le réchauffement est avéré, ainsi que l’influence de l’activité humaine sur ce réchauffement, via les émissions de gaz à effet de serre. Les principales académies des sciences nationales ont émis des avis [2] allant dans ce sens, aucune en sens inverse. En outre, les travaux du GIEC montrent que des actions pour réduire ces émissions, ainsi qu’adapter le monde à des températures et un niveau des mers plus élevés sont certes coûteuses, mais possibles.
Deuxième question : si la gravité de la situation est de plus en plus claire, pourquoi les citoyens s’en préoccupent-ils de moins en moins ? Une réponse tient à la crise : avant de sauver le monde en 2030, un nombre croissant de Français doivent faire face à l’urgence de la fin du mois. Selon un sondage [3] auprès des résidents en HLM, donc de personnes relevant des catégories populaires, 87 % d’entre eux désignent l’environnement comme un enjeu important, mais 4 % seulement estiment que faire des efforts dans ce sens est la première priorité. Une autre réponse tient à l’absence de solution évidente : 4 sondés sur 10 s’estiment mal informés sur les économies d’énergie, et plus de 6 sur 10 sur l’isolation des logements. Or plus de la moitié ont du mal à faire face à leurs dépenses d’énergie.
Si l’on ajoute à cela le fait que la transition énergétique s’est accompagnée en France ou en Allemagne de hausses de prix, on comprend que les Français les plus modestes hésitent à en demander plus. Ce qu’ils ne savent pas, parce qu’on n’a pas cherché à l’expliquer concrètement, c’est que le surcoût lié à la transition énergétique est en majorité dû à une mauvaise priorisation des énergies vertes : en ciblant mieux, on aurait eu autant de CO2 évité, pour un coût plus de deux fois moindre. Ce ne sont pas les renouvelables qui ont coûté cher, c’est le fait que les décideurs politiques ont alloué les moyens publics sans prêter suffisamment d’attention à la nécessité de cibler sur les solutions qui offrent le coût par tonne de CO2 évitée le plus bas. Ce dont doutent les Français, ce n’est pas de l’écologie en tant que telle, mais c’est de la capacité de leurs dirigeants à faire ce qu’ils attendent d’eux : se saisir des priorités immédiates comme des enjeux de long terme, identifier les solutions les plus efficaces au meilleur coût, les expliciter et les mettre en œuvre. Aux décideurs de montrer aussi que des politiques volontaristes en faveur de la transition énergétique peuvent contribuer directement à la création d’emplois, qualifiés et non qualifiés.
Il existe donc un sérieux déficit d’information : à part le GIEC, l’ONU et parfois la Commission européenne, rares sont les documents et analyses qui expliquent les choses dans le détail et dans leur intégralité. Et très rares ceux qui le font sous une forme qui rend aux Français deux droits essentiels : le droit de comprendre ce que sont vraiment les problèmes, et le droit de choisir, sur la base d’une réelle information sur les solutions possibles, leurs coûts, leurs risques et la façon dont la technologie peut les réduire.
Certes, le sujet est complexe : c’est une raison de plus pour faire des efforts de pédagogie adaptée aux différentes populations, compte tenu de l’ampleur des changements de comportement demandés à la société française. Sur le sujet également complexe des retraites, on a su réduire cette complexité à quelques questions pertinentes (ampleur du déficit, âge de départ, niveau de cotisations…). De même sur le climat, seules quelques questions comptent. Est-on sûr que l’on doive réduire nos émissions ? De combien doit-on les réduire ? Quelles sont les options les moins coûteuses pour y arriver et comment maîtriser les risques associés ? Comment faire pour que les autres pays fassent de même ? On pourrait, comme pour les retraites, créer un conseil d’orientation dont la mission serait de fournir une information stable et non partisane, sur les faits et les solutions pour amener à un diagnostic partagé. Il sera difficile d’impulser un changement durable sans dire aux Français clairement et simplement la nature du problème, et leur démontrer que les solutions proposées sont les bonnes et les moins coûteuses.
Travail en collaboration avec Serge Guérin (sociologue,
est professeur à l’ESG-MS ; dernier ouvrage :
La solidarité ça existe, éd. Michalon)
[1] Baromètre IRSN, 2014
[3] Fédération des Esh/TNS Sofres, juin 2013.