samedi, décembre 14, 2024

Pourquoi l’Allemagne ne veut pas d’un « Airbus de l’énergie »


Par
Vincent Champain, Thomas Rabier, Jeanne Lubek et Aymeric Petetin de  l’Observatoire du Long Terme (
http://www.longterme.org)

L’Europe atteint certes ses objectifs de
réduction des émissions de CO2 actuellement, mais les raisons en sont peu
pérennes : la faible croissance en explique une grande partie. Pour
réduire durablement les émissions de CO2, il faut que le CO2 coûte à celui qui
l’émet et rapporte assez à celui qui évite d’émettre. Trop complexe, et
inexistant hors d’Europe, le système de quotas d’émissions échoue à remplir cet
objectif. De ce fait, le monde sous-investit dans les technologies permettant
de réduire les émissions à un coût faible, ce qui nous coûtera très cher à
terme.

L’Europe devra donc renouveler en
profondeur sa stratégie et ses outils. Or cette nécessité se heurte à la fois à
un contexte économique difficile et à une situation politique moins favorable
aux ambitions européennes depuis les dernières élections.

Dans ce contexte, les analyses menées
par l’Observatoire du Long Terme, pointent l’intérêt de développer « l’espace
énergétique franco-allemand ».
Certes,
les deux pays ont des visions différentes sur certains sujets, par exemple sur
la place du nucléaire ou du charbon dans leur mix énergétique. Mais ils peuvent
rendre l’articulation de leurs marchés plus efficaces – par exemple, en
coordonnant mieux leurs marchés dits « de capacité et de flexibilité »
destinés à éviter les coupures.

Ensuite, un mécanisme d’incitation aux
technologies telles que le stockage ou l’efficacité énergétique pourrait être
créé. Il  ne s’agit pas ici de dépenser plus, mais de dépenser mieux, en
laissant leurs chances à toutes les technologies (renouvelables, stockage,
efficacité, réseaux intelligents…) pour concentrer l’argent là où il permet
d’obtenir le prix par tonne de co2 évitée le plus bas,.

Les investissements dans les
infrastructures pourraient également être mieux coordonnés, afin d’anticiper
les futurs écarts entre la demande et les capacités de production à moyen
terme, et de réaliser les investissements sur les réseaux qui s’en déduisent. Cette
coordination serait profitable : par exemple, une installation solaire installée
dans le Sud de la France plutôt qu’en Allemagne, sera plus rentable. A
l’inverse, d’autres projets – biomasse ou éoliens – seraient plus efficaces en
Allemagne. Une coopération permettant « d’échanger » des projets
permettrait donc d’avoir plus d’énergie renouvelable pour moins cher.

D’autres coopérations sont possibles s’agissant
de l’efficacité active, pour rendre la demande plus intelligente et consommer quand
l’énergie est moins chère, notamment pour harmoniser les normes. Il en va de
même pour l’efficacité passive : identification de bonnes pratiques,
formation des artisans du bâtiment… L’actualité nous rappelle enfin l’intérêt de
stratégies conjointes de sécurisation des ressources (gaz notamment).

Ensemble, France et Allemagne pourraient
aussi mieux informer leurs citoyens. De nombreuses décisions liées à la
transition ont été adoptées sans études scientifiques d’impact. Les risques
imputés à l’énergie (charbon et nucléaire notamment) sont à l’origine de
décisions lourdes, qui ont rarement été assorties d’études  scientifiques
comparant risques et coûts de ces énergies, et analysant les technologies
permettant de les mitiger. Une meilleure connaissance des perspectives
d’évolution de ces coûts serait fort utile pour mieux cibler le soutient aux
technologies innovantes. Réalisées dans un cadre franco-allemand, ces études
seraient moins suspectes de partialité.

En revanche, il sera  difficile de concilier une vision latine de
la stratégie industrielle, qui n’exclut pas l’intervention dans la gouvernance ou
au capital des entreprises, et une vision anglo-saxonne focalisée sur la
compétitivité, et excluant les interventions publiques directes. C’est
particulièrement vrai en Allemagne, dont une partie de la classe politique
s’est construite à l’Est sur un rejet des excès de l’intervention publique et se
refuse à intervenir dans des décisions d’entreprises.


Avant d’envisager un « Airbus »
de l’énergie, dont l’idée même est étrangère à nos partenaires, c’est donc
plutôt d’abord à la création d’un « espace énergétique commun » qu’il
faut songer.

À propos

Dédié à l'analyse des questions économiques, sociales et environnementales de long terme, L'Observatoire du Long Terme se fixe pour objectif de donner davantage de visibilité à ces enjeux dans le débat public. Dans ce contexte, il donne la parole à des contributeurs variés, avec pour seul critère le caractère étayé des arguments présentés.

L'Observatoire est indépendant, ne reçoit aucune aide financière et repose sur le volontariat de ses contributeurs, de son bureau, présidé par Vincent Champain et Bruno Fuchs.

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