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La chasse aux rentes pour luttter contre les inégalités ?

Publié dans l’Opinion, le 16 juillet 2014.

Comment
se définit une rente en économie ?
Selon la théorie économique, vous êtes en
situation de rente lorsque le revenu (salaire ou profit) que vous tirez de
votre activité est supérieur à sa productivité. Dis autrement, c’est lorsque
vous gagnez plus que ce que vous rapportez à la société. Une rente naît souvent
du fait qu’un agent économique ou une société possède un monopole sur une
invention ou un produit, ou encore lorsqu’elle a un accès à une ressource rare.
Mais pas seulement. Les rentes naissent parfois sans que l’on ne s’en rende
compte. Par exemple, la crise des subprimes est née d’une « rente de
complexité » : ceux qui étaient les seuls à comprendre des produits
financiers extrêmement complexes pouvaient en tirer des revenus élevés, sans
lien avec la valeur économique de leurs produits. Les produits étaient si
complexes que le régulateur lui-même ne les comprenait pas totalement. Cette
complexité a permis aux banquiers de les vendre très chers à des gens qui n’en
mesuraient pas la valeur réelle, ni les risques associés. La fin de cette rente
a marqué l’éclatement de la bulle.  
Est-ce
à dire qu’il y a des bonnes et des mauvaises rentes ?
Il y a surtout des bonnes et des mauvaises inégalités !
Une inégalité lié à un progrès économique bénéficie à tous. Au contraire une
inégalité lié à une rente rapporte au propriétaire de la rente, mais c’est aux
détriments du autres…
Par exemple, un laboratoire pharmaceutique gagnant
subitement beaucoup d’argent parce qu’il a inventé un vaccin contre la malaria gagnera
énormément d’argent par rapport à ses concurrents – mais pour de bonnes
raisons, qui profiteront à toute la société.
A l’inverse, on aura de « mauvaises
inégalités », lorsque les écarts de revenus sont surtout liés à une rente.
Ça peut concerner le secteur privé – par exemple la rente la plus répandue est
la rente foncière ou immobilière : celui qui gagne de l’argent uniquement
parce les prix augmente n’a rien fait pour cela (c’est évidemment différent
s’il gagne de l’argent grâce, par exemple, à son talent de décorateur intérieur
ou de gestionnaire de son parc de logement). La rente peut aussi concerner le
secteur public –  tout le monde connait
ces exemples de postes très bien rémunérés offerts à certains fonctionnaires en
fin de carrière, qui touchent un salaire très élevé sans lien avec ce qu’il
apporte à l’économie.
Le rôle d’un état régulateur consiste à faire
la part des choses, et d’attaquer toutes les rentes – publiques ou privées,
rentes de puissants ou rentes moins glorieuses.
On
parle souvent des Telecom en France comme d’un exemple réussi de rente cassée. Est-ce
le cas ?
C’est un secteur très compliqué à analyser. Il
faut savoir que les telecoms sont un secteur où les monopoles ont tendance à se
former autour de ressources rares,  comme
les fréquences attribuées par le gouvernement, ou le monopole d’exploitation
des lignes téléphoniques.
Or selon certains experts, l’arrivée d’un
quatrième opérateur téléphonique sur le téléphone mobile aurait redistribué 3
milliards par an de pouvoir d’achat aux ménages, pris sur les revenus des
actionnaires de ces opérateurs. Trois milliards c’est énorme à l’échelle d’un Etat
français qui espère gagner dix fois moins – 300 millions – avec sa taxe à 75% !
Mais on sait aussi qu’une concurrence absolue
peut réduire l’innovation et l’investissment – si un secteur cesse d’être
rentable, personne n’y investira. D’ailleurs, le concept même de brevet
consiste à donner un monopole d’exploitation d’une innovation à celui qui l’a
découverte, pour un temps limité : pas d’innovation sans protection des
innovateurs ! A l’inverse on sait aussi que les monopoles ont tendance à
être peu innovants et à laisser dériver leurs coûts. Toute la difficulté du
régulateur sera donc d’avoir le bon niveau de concurrence, en ayant à l’esprit
l’intérêt général.
Commencer
par réformer les professions juridiques n’est ce pas pour l’Etat attaquer le
problème par les détails ?
Que l’Etat donne l’exemple en s’attaquant aux
professions réglementées n’est pas une mauvaise idée, en soi, puisque cela
donne l’image qu’il souhaite réformer en premier les rentes qu’il a lui-même
créé ! Un exemple : deux cadres mariés diplômé ayant le même revenu qui se
séparent par consentement mutuel et dans des conditions financières qui leur
conviennent ont ils besoin de faire appel à un avocat de façon obligatoire ? Je
ne le crois pas. Le problème c’est que si vous supprimez cette obligation, vous
fragilisez financièrement un grand nombre d’avocats.
C’est toute la difficulté quand on réforme une
rente : avec le temps, une rente aboutit souvent à attirer un nombre élevé de
professionnels, qui auraient pu être employés beaucoup plus efficacement dans
d’autres secteurs. Comment faire pour casser la rente sans les appauvrir ? Tous
les taxis ne sont pas millionnaires, loin de là ! Comment diminuer les rentes
sans trop pénaliser ceux qui sont venus à ce métier avec l’espoir d’y trouver
un revenu ? C’est la double responsabilité de l’Etat, à chaque fois qu’il crée
une rente : d’abord il réduit l’initiative privée (puisque ne peuvent exercer
la profession réglementée que ceux qui ont l’autorisation), ensuite il génère
du gaspillage humain en attirant dans une activité des gens apporteraient plus
de valeur économique à faire autre chose. C’est cette difficulté qui fait qu’à
chaque fois qu’un gouvernement a voulu s’attaquer aux rentes il donne beaucoup
plus de coups de clairons que de coups de canons. Les résultats sont souvent
décevants. Et cela légitime aussi l’idée de « racheter les rentes »,
c’est-à-dire d’indemniser au moins partiellement ceux qui, à un instant T,
bénéficient d’une rente, en échange de quoi ils acceptent que la rente
disparaisse pour l’avenir. A long terme, tout le monde y gagne…

À propos

Dédié à l'analyse des questions économiques, sociales et environnementales de long terme, L'Observatoire du Long Terme se fixe pour objectif de donner davantage de visibilité à ces enjeux dans le débat public. Dans ce contexte, il donne la parole à des contributeurs variés, avec pour seul critère le caractère étayé des arguments présentés.

L'Observatoire est indépendant, ne reçoit aucune aide financière et repose sur le volontariat de ses contributeurs, de son bureau, présidé par Vincent Champain et Bruno Fuchs.

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