Propos recueillis par Ivan Best. Publié dans La Tribune le 22 mai 2015.
Quels peuvent êtres ces « bons signaux » ?
Enfin, on peut facilement favoriser la diffusion à l’échelle mondiale des produits verts. Des mesures comme la simplification des formalités à l’exportation et la baisse les droits de douane ne coûtent pas grand-chose, mais doivent se négocier dans le cadre de l’OMC.
Quelle est la meilleure méthode pour réussir la transition énergétique ?
Le meilleur critère, c’est l’obtention d’un impact climatique le plus large possible au coût économique le plus faible par tonne de Co2 évitée. Malheureusement, dans la très grande majorité des décisions, ce critère logique, du coût par tonne de C02 économisée est parfois un peu laissé de côté, voire totalement oublié.
Ce qui est également oublié, ou négligé, c’est la capacité des acteurs économiques à fournir eux-mêmes de nouvelles solutions. Un exemple : si l’on avait, il y a un siècle, demandé à un économiste d’évaluer le coût de la suppression du travail des enfants et du travail le dimanche pour l’industrie, il aurait regardé les technologies existantes, il aurait extrapolé leur évolution, et serait parvenu à un chiffre colossal. Un siècle plus tard, ce chiffre apparaît faible, et on travaille dans de meilleures conditions, à moindre coût, avec une meilleure qualité, pour un beaucoup plus grand nombre de produits. Comment est-ce possible ? Cela l’a été grâce à un grand nombre d’innovations apparues grâce au travail des innovateurs, sous la pression des marchés. Or la grande majorité de ces innovations était totalement impossibles à imaginer à l’époque.
Souvent, aujourd’hui encore, on aboutit à l’hypothèse d’un coût énorme du changement, de la transition énergétique, faute d’intégrer toute la créativité et la totalité les ressources possibles.
Toute solution qui omet de faire largement appel aux innovateurs sera peu optimale et très coûteuse. Nous nous sommes donc placés dans la logique suivante : quels sont les signaux à adresser aux entreprises, apour qu’elles développent des solutions aux plus bas coûts possibles, par tonne de CO2 économisée.
Quelles sont les solutions ?
On en retrouve certaines déjà sur la table, concernant les énergies renouvelables, les mobilités, mais aussi certaines plus inattendues, et peu utilisées, comme la cogénération liée au calcul intensif ou le remplacement des fluides utilisés dans les extincteurs. Certaines n’existeront jamais si on ne donne pas les bons signaux.
Quels peuvent êtres ces « bons signaux » ?
Le premier, c’est avoir une valeur de référence pour le carbone aussi rapidement que possible, afin que les entreprises sachent ce que devrait coûter le tonne de CO2. C’est une stratégie différente de celle de la fixation d’un prix du carbone proposée par beaucoup : dans ce cas, il s’agit de mettre en place un système de taxes, frappant chaque émission de CO2, tandis que les efforts de réduction sont subventionnés. Il est irréaliste de penser qu’un prix du carbone sera mis en place avant plusieurs générations au niveau mondial, et même au niveau des seuls pays de l’OCDE il faudra attendre longtemps. A l’inverse, en faisant travailler quelques scientifiques pendant quelques mois, on pourrait avoir une telle valeur de référence.
L’impact d’une valeur de référence est significatif . C’est un peu comme quand les banques centrales affichent une cible d’inflation : le simple fait de l’afficher conduit les agents économiques à former leurs anticipations, et à prendre des décisions qui poussent l’inflation vers cette cible. On appelle cela la « forward guidance » ; c’est le fait de donner aux acteurs économiques une meilleure information sur le long terme. Si un chef d’entreprise sait que la banque centrale vise 2% d’inflation, il ne fera pas de pari économique en fonction d’une hausse des prix à 20% et personne ne financera un tel pari !
Or, actuellement, un consensus à la fois scientifique et géopolitique autour d’une telle valeur de référence n’existe pas au niveau mondial. A titre indicatif, les rapports qui ont réalisé des analyses partielle l’estiment autour de 50 €/tonne de CO2.
Une banque centrale a des outils, comme le maniement des taux d’intérêt, pour parvenir à sa cible. Comment crédibiliser celle du coût carbone ?
Les États ont de nombreux outils (taxes, tarifs, aides à la recherche,…) grâce auxquels peut s’incarner la valeur de référence, y compris dans les pays émergents pour lesquels il pourrait s’agir d’un fond semblable au grand emprunt, dimensionné en fonction des capacités du pays (même si c’est quelques dizaines de millions).
Ce qui est important ce n’est pas d’être tout de suite à la valeur de référence, mais de choisir un chemin, et de l’afficher. Si on pense que le coût à terme est de 50 dollars, cela constitue un filtre. Les solutions qui ont un coût supérieur et aucune chance de le réduire – et qui n’ont donc pas de sens du point de vue climatique – apparaissent clairement. A l’inverse, certaines solutions qui ne bénéficient pas de tarif (par exemple parce qu’elles concernent la mobilité ou l’urbanisme) peuvent savoir simplement si elles ont un sens du point de vue climatique. Les innovateurs savent alors quelle « fenêtre » ils doivent viser, sans risque de travailler des années pour finir dans le mur. C’est comme si on installait un lampadaire dans une pièce noire où les gens se cognaient : c’est la meilleure façon pour s’assurer qu’ils se dirigent là où cela a du sens du point de vue climatique.
Autre point important : un « dual pricing » du carbone sera la plupart du temps nécessaire. En effet, un « prix » du carbone cumule à la fois un aspect incitatif, qui vise à aider à développer les solutions à bas carbone, et un aspect « punitif », qui vise à réduire les secteurs émetteurs. En général le premier est bien reçu, mais le deuxième pose des problèmes d’ajustement – par exemple c’est le cas du secteur du charbon en Pologne ou en Allemagne. Pousser un prix unique c’est aller à l’échec car les pays pourront être prêts à aller très vite sur la partie incitatives, mais devront avoir une action plus progressive sur la partie punitive pour éviter des ajustements trop brutaux sur les entreprises et les salariés qu’elles emploient. Or si ces secteurs sont rapidement et fortement taxés, ils se trouveront condamnés, et cela conduirait au rejet de toute politique climatique.
La solution c’est un « dual pricing », avec d’un côté un « prix incitatif » élevé du carbone (égal à la valeur de référence indiquée ci-dessus) pour inciter au développement d’innovations vertes, et de l’autre côté un « prix punitif » (par exemple une taxe sur le CO2 ou des droits d’émissions) plus modéré qui augmente très progressivement pour les secteurs fortement émetteurs de gaz à effet de serre. Le tout en affichant clairement la cible de long terme, qui est la valeur de référence du carbone : les innovateurs ont tout de suite les bonnes incitations, alors que les gros émetteurs savent où ils doivent aller tout en ayant le temps de le faire d’une façon qui ne soit pas brutale. Le mouvement devient alors politiquement acceptable et beaucoup plus clair pour tout le monde, tout en laissant au Burkina Faso et à la Norvège la possibilité d’avancer à des rythmes différents.
Mais la lutte contre les émissions polluantes se conçoit bien sûr au niveau international…
Absolument. Mais vouloir fixer tout de suite des règles précises et contraignantes, rencontrant l’assentiment de 194 pays, c’est courir droit à l’échec. Dans un immeuble, vouloir mettre d’accord cinq co-propriétaires du même immeuble dans le même quartier sur un ravalement, c’est déjà une gageure, alors comment imaginer faire voter à 190 états aussi différents que l’Ethiopie et le Luxembourg un plan détaillé qui leur coûterait 5 %de la richesse nationale ? Commençons déjà par faire en sorte que la communauté internationale se mette d’accord sur une valeur de référence du carbone à long terme !
Quelles sont les autres pistes ?
Nous avons cherché à identifier tous les blocages possibles, et le rapport présente des recommandations très détaillées, qui comprennent de nombreuses solutions qui ne coûteraient rien et permettraient d’avancer vraiment. Par exemple, la part des brevets dédiés aux technologies liées au climat est en baisse, alors que mieux coordonner recherche privée et publique les augmenterait. On pourrait mieux faire coïncider les « road maps » technologiques de la recherche des entreprises avec les agendas de la recherche publique, ou les priorités des gouvernements en matière de développement durable. Une autre idée serait aussi de rendre facilement accessibles les meilleures pratiques du point de vue climatique disponibles aujourd’hui pour chaque secteur (exemple, dans l’industrie chimique, les technologies les plus performantes en termes d’efficacité carbone à coût équivalent) et de donner une visibilité sur l’évolution des technologies à trois ou 10 ans.
Comment subventionner de manière efficace la transition énergétique ?
Le rapport ne se place pas dans l’optique de subventions : au pire il faut donner une valeur à la réduction des émissions, mais c’est plus corriger une « imperfection de marché » (ces produits apportent un bénéfice que personne ne rémunère) que subventionner.
Par ailleurs, de nombreuses innovations vertes trouvent un équilibre financier sans subvention, notamment par la simple économie de fuel qu’elles permettent de réaliser.
Dans les cas où il faut un soutien, on peut être plus ou moins efficace. Le soutien aux opérateurs d’éoliennes, par exemple, peut se faire selon deux modalités. Soit en donnant une aide fixe, qui permet à l’opérateur d’obtenir un revenu fixe, en complément du prix de marché. Dans ce cas, il ne sera soumis qu’au risque de fonctionnement de l’éolienne – les seuls qu’il contrôle vraiment. Autre possibilité, laisser l’opérateur dans le marché électrique, il se débrouille alors avec les aléas du marché, en plus d’une prime fixe qui s’ajoute aux prix de marché. Il aura beaucoup plus de mal à se financer, et devra payer plus cher s’il y arrive.
Pour le même coût, on obtiendra donc beaucoup plus de développement des énergies renouvelables dans le premier cas, car dans le second, une partie plus grande du soutien public sera absorbée par le coût de financement.
Dans les cas où il faut un soutien, on peut être plus ou moins efficace. Le soutien aux opérateurs d’éoliennes, par exemple, peut se faire selon deux modalités. Soit en donnant une aide fixe, qui permet à l’opérateur d’obtenir un revenu fixe, en complément du prix de marché. Dans ce cas, il ne sera soumis qu’au risque de fonctionnement de l’éolienne – les seuls qu’il contrôle vraiment. Autre possibilité, laisser l’opérateur dans le marché électrique, il se débrouille alors avec les aléas du marché, en plus d’une prime fixe qui s’ajoute aux prix de marché. Il aura beaucoup plus de mal à se financer, et devra payer plus cher s’il y arrive.
Pour le même coût, on obtiendra donc beaucoup plus de développement des énergies renouvelables dans le premier cas, car dans le second, une partie plus grande du soutien public sera absorbée par le coût de financement.
Quelles sont les incitations à transmettre aux entreprises, hormis les subventions ?
Pour développer largement les innovations vertes, il faut accélérer la recherche et l’innovation, faciliter l’adoption des produits et amplifier leur développement mondial.
S’agissant de la recherche, il faut mettre en place un dialogue autour des « road maps technologiques », de façon à améliorer le dialogue entreprise-universités. Concernant l’adoption des produits, on peut aider à familiariser les consommateurs avec des innovations qui peuvent parfois dérouter en raison de leur caractère innovant. Prenons l’exemple des motos électriques : elles sont plus chères à l’achat, mais l’assurance l’est moins, le plein coûte un euro… au total, le prix n’est pas plus élevé. Le problème que nous avons, c’est celui de l’adoption par les consommateurs, qui ont besoin d’être sécurisés : c’est plus une affaire de pédagogie que de subventions ! Des innovations comme Autolib permettent justement aux clients de « tester » de nouveaux produits sans prendre de risque financier.
S’agissant de la recherche, il faut mettre en place un dialogue autour des « road maps technologiques », de façon à améliorer le dialogue entreprise-universités. Concernant l’adoption des produits, on peut aider à familiariser les consommateurs avec des innovations qui peuvent parfois dérouter en raison de leur caractère innovant. Prenons l’exemple des motos électriques : elles sont plus chères à l’achat, mais l’assurance l’est moins, le plein coûte un euro… au total, le prix n’est pas plus élevé. Le problème que nous avons, c’est celui de l’adoption par les consommateurs, qui ont besoin d’être sécurisés : c’est plus une affaire de pédagogie que de subventions ! Des innovations comme Autolib permettent justement aux clients de « tester » de nouveaux produits sans prendre de risque financier.
Enfin, on peut facilement favoriser la diffusion à l’échelle mondiale des produits verts. Des mesures comme la simplification des formalités à l’exportation et la baisse les droits de douane ne coûtent pas grand-chose, mais doivent se négocier dans le cadre de l’OMC.
Pouvez-vous citer d’autres exemples d’innovations ?
Il en existe de multiples. Ainsi, en matière de cogénération, Qarnot a créé un radiateur intelligent. De quoi s’agit-il ? D’habitude, toute la puissance de calcul informatique est placée dans un même lieu, elle génère de la chaleur, et on doit dépenser pour la climatiser. Ce que fait Qarnot, c’est placer chez vous une tranche de calcul, génératrice de chaleur, à la place d’un radiateur : quand vous avez froid, il se met à calculer et vous chauffe au passage. Le bénéfice, c’est un chauffage gratuit et des économies sur les datacenters !
Autre exemple : le torchage de gaz. Habituellement, le gaz qui arrive comme sous-produit d’exploitation pétrolière est simplement brûlé, perdu. Dans le même temps, les site d’exploitation pétrolière ont des groupes électrogènes, qui fonctionnent en général au diesel. Or il existe aujourd’hui des solutions pour utiliser ce gaz afin de produire de l’électricité nécessaire aux sites pétroliers. On remplace ainsi les groupes électrogènes traditionnels. Bref, les exemples sont très nombreux. Ce qui est problématique, c’est qu’au fond on fait peu de choses pour développer ces « innovations vertes abordables », qui contribuent à sauver la planète à des coûts très bas.
«Transition Through Innovation» rédigé par l’Observatoire du long terme et le cabinet de conseil en stratégie CVA, pour l’ONG R20-Régions pour le climat fondée en 2010 par Arnold Schwarzenegger.