Paru dans Les Echos le 4 aout 2020.
Après le confinement, l’économie redémarre plus vite que prévu. Ce n’est pas si surprenant venant de modèles de prévision basés sur les évolutions de variables macro-économiques (taux, épargne, consommation…) mais incapables d’anticiper l’envie de consommer ou d’entreprendre. La robustesse de cette reprise dépendra du retour ou non du virus cet hiver (ou comme lors de la grippe de Hong Kong, l’hiver de l’année suivante). Mais à plus long terme, elle pose trois questions.
La première est celle des dispositifs de soutien aux activités solvables à long terme mais menacées par les effets du virus (hôtellerie, culture,…), de financement (pour éviter que des entreprises capable de générer de la valeur à moyen terme ne fassent faillite par manque de trésorerie) et surtout les mesures permettant le retour à un fonctionnement normal malgré les précautions sanitaires. Une relance keynésienne apparaît moins nécessaire. Des centaines de milliers de personnes ont été ou seront durement touchées par la Covid, et devront être aidées. Mais au total, les français ont accumulé cent milliards d’épargne involontaire : il faut leur permettre de le dépenser plutôt que le faire grossir.
La seconde question est liée à l’effet à moyen terme des politiques monétaires. Il était nécessaire d’agir pour éviter un cercle vicieux : moins de revenus (l’Europe a perdu 10% de sa production de richesse annuelle) entraînant moins de consommation, et encore moins de revenus. Pour cela les Etats Européens dépenseront plus en émettant une dette financée en grande partie grâce à l’intervention de la BCE. Soit cette dette sera remboursée par de futurs efforts des contribuables et des bénéficiaires des dépenses publiques. Soit elle sera monétisée, et il y aura alors plus de 1000 milliards d’euros en plus pour un peu moins de biens que prévu, ce qui créera de l’inflation. Comme le rappelait le ministre des Finances en 1993, cette dernière « est toujours un impôt pour les pauvres et une subvention pour ceux qui ont du bien ». Et rembourser la dette par l’inflation coûte deux fois : certains en payent le coût direct (l’impôt sur les pauvres), puis tous subissent la perte de croissance qu’entraîne un système de prix moins prévisible (les investisseurs augmenteront leur prime de risque et les ménages leur épargne de précaution). Or le mandat de la BCE ne s’oppose pas à un retour de l’inflation suffisant pour absorber la dette Covid : si elle avait depuis sa création poussé l’inflation au maximum de ce mandat, les prix seraient aujourd’hui supérieurs de 15%.
La troisième question est celle de la stratégie pour atteindre une croissance suffisante pour rembourser la « dette Covid ». Pas nécessairement en accélérant l’épuisement des ressources naturelles ou démultipliant les gaz à effet de serre : n’en déplaise aux apôtres de la décroissance, on peut chercher à maximiser la valeur du produit intérieur, net des ressources utilisées pour produire. La performance du secteur public est un domaine d’action possible. Il est en Europe le plus important du monde, mais il a été laissé de côté par un projet Européen davantage focalisé sur le marché unique et la concurrence du secteur privé. L’incitation à la qualité du service public est surtout venue d’instruments extra-européens – le classement de Shanghai, celui de l’OMS ou ceux de l’OCDE.
Notre place dans la concurrence technologique mondiale constitue un autre enjeu crucial. Les causes de ce retard renvoient à des questions de régulation et de stratégie industrielle insuffisamment débattues. Nous gagnerions ainsi à nous pencher sur la stratégie de Google pour s’introduire dans l’oligopole des systèmes d’exploitation mobile : en rendant disponible une plateforme open source, elle-même basée sur un noyau d’origine européen (Linux). Des défis similaires sont à notre portée dans le domaine industriel. Si nous acceptons de tous les perdre, alors notre richesse sera mécaniquement amputée de ce que nous aurons à payer au pays qui auront réussi ces paris.
La violence du choc Covid pourrait nous pousser à nous concentrer sur la remise à flot de l’économie à court terme en réduisant les investissements d’avenir. Or pour réellement dépasser cette crise, nous devons en anticiper les effets de long terme.
Vincent Champain est cadre dirigeant et co-président de l’Observatoire du Long Terme, think tank dédié aux enjeux de long terme (https://longterme.org)