Publié dans Les Echos, édition du 5 mai.
La lutte contre le réchauffement climatique ne peut se résoudre à trouver un bouc émissaire. Elle suppose au contraire de rechercher les façons les moins pénalisantes de réduire notre empreinte carbone nette, et le numérique a un rôle à y jouer. L’impact carbone du numérique est certes significatif : les datacenters et les réseaux génèrent chaque année environ un milliard de tonnes de CO2, soit 2% du total mondial. Ces émissions sont comparables à celles de l’éclairage public et privé. Pourtant, on entend moins de voix revendiquant une vie d’obscurité que de partisans de l’arrêt du digital.
Le progrès technique a été plus utile que la décroissance pour réduire les émissions de l’éclairage : l’électrification a mis fin aux lampes à pétrole et le développement des LEDs a divisé par dix la consommation des ampoules. Il en va de même pour le numérique : la puissance des équipements double tous les 33 mois à consommation constante. La 5G apportera par rapport à la 4G la même amélioration que les LEDs par rapport aux ampoules à incandescence. La chaleur générée par les datacenters (le refroidissement utilise un tiers de leur consommation) peut encore être optimisée, notamment comme source de chauffage. Le fonctionnement des serveurs sera plus efficace et mieux adapté à la teneur en carbone de l’énergie disponible à un moment donné. L’architecture d’internet n’a pas été conçue pour optimiser sa consommation. Elle sera améliorée dans les années à venir. Les datacenters vont continuer à se tourner vers des énergies décarbonées. Toutes ces améliorations se feront d’autant plus vite que les clients le demanderont et que le prix du carbone y poussera. Pour aller plus loin, on pourrait aller mieux répercuter les émissions de carbone des usages dans leur facturation pour donner un bonus à la frugalité – en veillant cependant de ne pas crée une atteinte à la neutralité d’internet. Ces solutions réduiront les émissions d’une façon beaucoup plus certaine que la diète numérique.
En outre, arrêter le progrès du numérique peut être contreproductif. Les transports domicile-travail génèrent à eux seuls un volume d’émissions du même ordre de grandeur que l’ensemble du numérique. Pour accélérer la réduction des émissions permise par le télétravail, il est nécessaire que les infrastructures permettent le travail à domicile. Un smartphone consomme vingt fois moins d’énergie qu’une télévision et un SMS deux mille fois moins qu’une conversation téléphonique. Le digital permet enfin de nombreuses avancées favorables au climat, telles que les moteurs électriques sans balais (plus puissants et plus efficaces), les aides à la navigation (qui permettent de réduire les distances et de réduire les embouteillages), les réseaux électriques intelligents ou le pilotage du chauffage (qui évite de chauffer des locaux vides), entre autres. Et à ceux qui veulent bannir le téléphone portable, conseillons de bannir avant le café, les infusions et le tabac : une machine à café consomme en 6 minutes autant d’énergie qu’une télévision en une heure ou un téléphone en un jour. Regarder une heure de vidéo ne génère que quelques grammes de CO2, bien moins qu’une cigarette. Stocker des centaines de photos dans le cloud consommera une quarantaine de grammes de CO2, autant que 200 mètres parcourus en voiture, un tiers de tomate ou 2 grammes de viande.
Notre mode de vie n’est pas « minimaliste » en termes d’émissions de gaz à effet de serre : faire des photos de famille, lire un livre, assister à un spectacle, aller voir des amis, acheter un jouet à un enfant ou débattre du climat avec des inconnus sur les réseaux sociaux ne sont pas « nécessaires ». Ce sont de telles choses non nécessaires qui définissent l’humanité. Leur empreinte carbone peut et doit être réduite, mais pour que ce soit réalisable dans un monde où le nécessaire, le désirable et le superflu varient d’une personne et d’un pays à l’autre, ce serait une erreur de chercher à imposer un mode de vie. Il faut au contraire donner plus de transparence au coût du carbone de chaque produit ou service, rendre chacun conscient et responsable de ses choix et accepter la nécessaire diversité de ces choix.
Vincent Champain est cadre dirigeant et président de l’Observatoire du Long Terme, think tank dédié aux enjeux de long terme.