Publié dans Les Echos
Les statistiques de produit intérieur brut (PIB) semblent sans appel : ramené à une même monnaie – le dollar – la richesse produite aux États-Unis a augmenté d’un tiers de plus que celle produite en France depuis quinze ans.
Premier D : le dollar
Néanmoins – comme le note Paul Krugman – l’évolution du dollar explique une partie importante de cet écart. Chaque dollar valait 0,6 euro en avril 2008, alors qu’il en vaut 0,9 actuellement. Cette évolution est liée au dynamisme des Etats-Unis par rapport au reste du monde, et dépasse largement la France et l’Europe : la valeur du dollar vis-à-vis des autres devises a augmenté d’un quart depuis 2008.
Et ce n’est pas la première fois que le dollar s’envole : les trois pics du taux de change dollar par rapport à la monnaie française ont été observés au milieu des années 80, en 2000 et actuellement. Puis la situation s’est inversée, au début des années 90 ou après l’éclatement de la bulle internet. On peut parier qu’il en ira de même quand la bulle technologique actuelle s’affaissera.
Deuxième D : la démographie
Néanmoins, le taux de change n’explique pas toute l’amplification de l’écart de richesse qui sépare France et Etats-Unis. En effet, si l’on veut comparer la richesse des Américains à celle des Français, c’est la richesse par tête qui compte. Or la démographie américaine est supérieure à celle de la France et explique environ 14% de l’écart de PIB de 2008 à 2023. Il faudrait rajouter l’effet sur l’innovation du formidable appel d’air des Etats-Unis sur les talents mondiaux (y compris français) : plus d’un doctorat sur deux aux Etats-Unis est attribué à une personne d’origine étrangère.
Troisième D : le digital
Si l’on cherche des écarts de productivité entre la France et les Etats-Unis, trois facteurs viennent à l’esprit : d’abord la facilité à s’adresser à un marché de centaines de millions de personnes sans surcoût (par exemple des traductions ou des discussions avec des distributeurs nationaux), ensuite la rapidité à démarrer une activité ou à l’ajuster (malgré de récentes évolutions, certains sujets restent notablement différents – comme par exemple le délai de préavis, qui protège les entreprises en place au détriment des salariés et des entreprises de croissance).
Un facteur a cependant pris une importance macro-économique depuis une décennie : le numérique. Et plus précisément, la contribution de six entreprises : Microsoft, Amazon Web Services, Meta, Alphabet, Apple et Nvidia. Leur chiffre d’affaires représente en 2023 un total 1165 milliards de dollars par an. De 2008 à 2023, le chiffre d’affaires de ces entreprises a progressé de 1000 milliards de dollars, soit l’équivalent de 3,5 points du PIB américain.
Comme pour les facteurs dollar ou démographie, ce facteur n’a rien de français, ni même d’Européen : aucun autre pays dans le monde, à part la Chine sur certaines activités, n’a réussi à développer des entreprises qui apportent une telle contribution à la richesse nationale.
Garder raison dans les comparaisons
S’il n’est pas possible de comparer la richesse française à celle des Etats sans tenir compte des « trois D », il ne faut évidemment pas négliger l’importance des réformes qui augmenteraient les chances de la France (ou plutôt de l’Europe pour des raisons de taille critique, essentielles sur ce type de secteur) de développer une industrie numérique aussi puissante que celle des Etats-Unis. Et de faire en sorte que les initiatives en faveur d’une IA souveraine qu’ont lancé chacun des pays Européens convergent vers un projet à taille européenne.
Parmi ces réformes, on peut citer par exemple l’attractivité vis-à-vis des talents étrangers, le dynamisme et les moyens de la recherche scientifique, la qualité de l’éducation, les capacités de financement de l’innovation (infiniment plus faibles ici qu’aux Etats-Unis) ou la fluidité du marché intérieur (démarrer aux Etats-Unis donne accès à un marché totalement intégré parlant une langue commune). Sans oublier les politiques de concurrence, indispensables pour réduire les tentations qu’induisent les positions de marché « macro-économiques » des 6 entreprises mentionnées plus haut.