La montée du populisme s’explique d’abord par une décennie de croissance faible: 0,3% en France, 0,4% en Europe, 0,6% aux Etats-Unis, 1,4% en Allemagne, 1% en Suède, et cette moyenne cache de nombreux cas de baisse. Les inégalités ont progressé : la part des 1% plus hauts revenus est passée de 8,5% en 2002 à 9% en 2012 en France, 5,7% à 7,2% en Suède et de 15 à 18,8% aux Etats-Unis. Le non emploi, soit la part des ceux en âge de travailler mais sans emploi, n’a pas baissé depuis cinq ans en France (36 %), a augmenté aux Etats-Unis (de 28 à 31%) alors qu’elle se réduisait en Suède (28 à 24%) et en Allemagne (35 à 26%).
Or ce ne sont pas les pays les plus ouverts à la mondialisation qui sont le plus frappés par le populisme : les importations représentent 41% du PIB en Suède, 39% en Allemagne contre 31% en France et 15% aux Etats-Unis. Ce sont ceux où la réalité est la plus éloignée des promesses du modèle économique et social. Les américains rêvent d’une réussite à la portée de tous : ceux nés avant 1941 avaient 90% de chances de gagner plus que leurs parents, mais cela n’est plus vrai que pour 60% de ceux nés en 1961 et 50 % de ceux nés en 1980.
Le modèle français promet égalité et services publics de qualité en contrepartie d’impôts élevés. Les classements internationaux ne cessent de noter l’affaiblissement de notre système de formation initiale, et les faiblesses de notre formation continue. La paupérisation guette un système de santé dans lequel les plans d’économies épargnent cures thermales et transport en taxi alors que les soins dentaires ou optiques sont quasiment exclus. Et nul n’envie le rapport qualité-prix et les inégalités de notre formation professionnelle. L’égalité ne se porte pas mieux. Ainsi, nous affichons des réglementations multiples censées protéger les moins qualifiés qui, en réalité, atrophient les activités (services notamment) qui pourraient leur offrir de nouvelles opportunités.
Le déficit public est sans doute le meilleur indicateur d’écart entre les ambitions politiques et les moyens donnés pour les réaliser. Il est de 4,2% aux Etats-Unis. Il reste supérieur à 3,5% en France en 2015 et seule une fraction des annonces pour la réduire depuis 40 ans ont été suivies d’effets. A l’inverse, l’Allemagne (+0,7%) et la Suède (+0,2%) affichent des excédents. Le modèle européen ne va pas mieux : le traité de Rome visait le progrès économique et social. Mais comme l’a regretté Jacques Delors, le volet social est resté à l’état de promesses. Or les accords commerciaux ou la concurrence intérieure ont des bénéfices indéniables. Mais ils supposent que l’on accompagne efficacement les « perdants » vers de nouveaux emplois , condition qui n’a pas été remplie en Europe. Aux Etats-Unis, elle l’a été de façon très imparfaite alors que l’on croyait que le dynamisme du marché du travail remplirait ce rôle. Et ceux qui pensaient que soit le marché, soit de vieux modèles inadaptés, s’occuperaient des « perdants de la mondialisation » ont commis une négligence qui leur est désormais reprochée. A l’inverse, les pays du Nord ont évolué pour davantage accompagner les transitions professionnelles, ce qui les a mieux préparé aux effets d’une concurrence accrue.
Pour sortir de cette impasse, la solution n’est pas dans le populisme – qui consiste à mentir un peu plus sur les solutions possibles. Mais elle n’est pas non plus dans l’intellectualisme – qui consiste à théoriser l’impuissance, à poursuivre l’échec d’une méthode focalisée sur une vision limitée à de grands agrégats ignorant la réalité vécue par tous les français. La plupart des réformes proposées pour la sécurité sociale sont à cet égard emblématiques : ciblées sur la santé des comptes, mais faisant peu de cas de celle des français ou du rapport qualité / prix qui leur est offert. A l’inverse, la recette qui a réussi aux pays plus épargnés par le populisme, c’est une vision de l’intérêt général élargie, ni limitée aux élites, ni limitée aux classes populaires. C’est aussi accepter de traiter les vrais problèmes en mettant en place de vraies solutions.
Vincent Champain, cadre dirigeant et Président de l’Observatoire du Long Terme