Les désaccords sur lesquels se concluent le débat sur la transition ne sont pas en soi un problème – ils démontrent en effet qu’il y a des choix à faire, et qu’ils ne sont pas simples. Mais ils cachent aussi le fait que notre système énergétique a atteint ses limites, qui se traduisent sous la forme d’au moins quatre paradoxes. Persuadés que nous ne trouverons pas de solutions durables si nous ne nous attaquons pas au fond des problèmes, c’est à l’analyse de ces paradoxes et de leurs causes profondes que nous nous sommes livrés.
Le premier paradoxe est celui de l’inversion des temps. Il voit les choix de long terme inhérents aux politiques de l’énergie malmenés par des visions de court terme, alors que les investissements énergétiques se situent dans des temps longs. Mais il a également pour cause les défauts fondamentaux dans la façon dont la logique de marché a été introduite dans l’énergie – par exemple, en introduisant le marché là où il aurait été préférable de renforcer la régulation, et à l’inverse, en échouant introduire une vraie concurrence dans le domaine de la production. Pour être résolu, ce paradoxe nécessite que l’Etat reprenne en France un rôle de stratège, qu’il a en grande partie abandonné, et fixe des orientations de long terme stables dans le temps, mais également que l’architecture du marché européen de l’énergie soit revue en profondeur.
Le paradoxe démocratique tient à l’écart entre la place de la transition dans l’agenda politique, et la faible implication des citoyens sur ces sujets. Pour le résoudre, il faut mettre en place les conditions d’une véritable démocratie énergétique, à commencer par une information précise sur les enjeux, les choix possibles, et leurs conséquences, sous une forme qui rende ces informations réellement accessibles à chacun. Ce paradoxe démocratique est également mondial : les débats sur la transition concernent des pays qui ne réalisent qu’une part minoritaire des émissions de CO2. Il est donc nécessaire d’agir de façon volontaire à la fois en France, et en renforçant notre « diplomatie climatique » nationale et européenne.
Le paradoxe de la mobilité, c’est que le sujet contribuant à la majorité des émissions de CO2 fut pratiquement absent des débats. La résolution de ce paradoxe suppose une approche coordonnée là où les différents leviers (urbanisme, transport, stratégie industrielle…) sont actuellement utilisés de façon peu coordonnée. Il est également nécessaire de veiller à ce que chacun puisse accéder à la mobilité économe (par exemple, en n’oubliant pas le gaz, qui présente les coûts d’achats les plus faibles), donner des signaux-prix incitatifs et utiliser davantage le potentiel de l’open data pour permettre à chacun d’optimiser ses déplacements.
Le paradoxe du financement, enfin, est ce cercle vicieux par lequel l’absence d’investissements nous rend plus pauvres. Il peut être levé, comme le montrent les études réalisées en Allemagne. Cela suppose cependant de donner aux investissements nécessaires – souvent de durée longue et de risque faible – des coûts de financements plus proches des taux de retours attendus des infrastructures publiques, que de ceux actuellement exigés par les marchés pour les projets énergétiques. Il est par ailleurs nécessaire, en parallèle, de développer les investissements privés dans l’énergie, autant en assurant aux énergéticiens des prix qui leurs en donnent les moyens, qu’en développant la concurrence là où elle est source d’innovation.
Le débat ne résoudra pas ces paradoxes, et plusieurs d’eux entre nécessitent encore un travail supplémentaire avant de pouvoir donner lieu à des solutions réalistes, notamment s’agissant de la mobilité, la définition d’une architecture alternative pour le système énergétique européen, la conciliation des objectifs nationaux et des contraintes mondiales, ou l’analyse du coût futur pour les entreprises ou les particuliers des différentes options possibles.
Si nous n’y arrivons pas, nous assisterons à la multiplication d’anomalies similaires à celle constatée récemment en France pour la production électrique : des dépenses sans précédent en faveur des renouvelables, et des dispositifs ambitieux pour réaliser des économies largement effacés par l’effet des prix de marché (charbon peu coûteux, flexibilité et faibles émissions du gaz insuffisamment valorisés, prix du carbone insuffisant) conduisant à une hausse des émissions de C02 du mix électrique, en plein débat sur l’énergie !
Vincent Champain, Esther Finidori, Pierre Genas, Amine Lamdaouar et Corentin Sivy