La santé en France, quelle réforme après les réformes ?

Dr Mehdi MEJDOUBI,
médecin, Chef de pôle, CHU de Martinique, pour l’Observatoire du Long Terme
(https://longterme.org)

Si  les soins
prodigués en France sont parmi les meilleurs au monde, il est difficile d’être
aussi fier sur le plan économique : le régime d’Assurance Maladie est déficitaire
depuis bientôt un quart de siècle (1989 exactement). 
Ce déficit résulte de la différence entre le
montant des sommes dépensées pour la santé, supérieur à celui des cotisations
et taxes affectées à la santé. Certains affirmeront qu’il n’y a qu’à augmenter
les seconds, ignorant le fait que la France atteint désormais un niveau record
de prélèvements, et notamment de cotisations sociales, A l’inverse, si l’on
considère les dépenses, un pays comme le Japon obtient de meilleurs indicateurs
de santé en ne consacrant que 8% de son PIB à la santé au lieu de 11% pour la
France. A l’inverse, les USA ont de moins bons indicateurs de santé en y
consacrant plus (17% de leur PIB). On peut donc soigner mieux en dépensant
moins !
Les solutions pour corriger ce déficit sont
nombreuses, égrenées par moult experts. Le monde de la santé est loin d’être
immobile, les ARS ont été mises en place, des hôpitaux réduisent leur déficit
(150 millions en 2012), des petites structures fusionnent, et des gains de
productivité significatifs ont été faits les 5 dernières années. Le monde de la
santé a admis le principe d’un effectif correspondant à l’activité et les
soignants se consacrent avec abnégation, et le plus souvent bien au delà de
leurs obligations contractuelles à leur beau métier.
Qu’est-ce qui
bloque alors l’atteinte d’un équilibre financier ?
1)    
Tout d’abord, le système déresponsabilise les acteurs.
La santé est vue en France à travers le principe idéaliste d’un « all
inclusive ». TOUT devant être pris en charge (quasi gratuitement, en tout
cas de façon indolore) du domicile jusqu’au post-hospitalier en passant par les
soins proprement dits, de la naissance jusqu’à la mort (ainsi, plus personne ne
décède à domicile). Cette exhaustivité est pratique : elle évite des choix
difficiles pour identifier les soins ou les cas de figure justifiant d’une
prise en charge. Personne n’a à prendre la responsabilité de choisir puisque tout
est dû ! Malheureusement, l’idéal en terme de soins est impossible à
atteindre tant les besoins sont étendus, plus que les ressources qui peuvent
les financer.
Au lieu de choisir
de façon rationnelle les soins qui doivent être couverts, c’est la pénurie et
les files d’attentes qui choisissent à notre place ! Il faut donc
confronter cet idéal au principe de réalité et, sans renoncer à la qualité du
système de santé français, concentrer la prise en charge là où elle apporte le
plus de bénéfices, et éviter les dépenses moins utiles (telle que
l’hospitalisation indue de personnes dépendantes, qui seraient prises en charge
à moindre coût à domicile). Enfin, une participation minime peut être demandée
pour les transports, pour les médicaments ou pour une consultation, ce qui
aurait le mérite à la fois d’apporter des recettes et surtout de dissuader des
dépenses inutiles. Ces débats peuvent sembler surréalistes dans certains
cas : une consultation chez un médecin généraliste est à 23 euros, et une
visite à domicile (33 euros) coûte moins que de faire déplacer un plombier. Qui
fera croire que les transports limitent l’accès aux soins alors que les
français font des kilomètres pour aller dans des centres commerciaux ?
2)    
La gouvernance locale reste lourde. Trop de décisions sont prises pour des raisons
politiques plus que sur des besoins réels de santé. Les raisons sous-jacentes
sont connues : Souci d’aménagement du territoire, préservation de l’emploi
ou, tout simplement, défense d’un électorat. Le problème, c’est que ces
contraintes viennent peser sur les montants réellement disponibles pour la
santé : d’une certaine façon trop de politique dans la santé publique nuit
à la politique de santé publique !
La loi HPST a
certes permis la création des ARS, de renforcer le rôle des chefs de pôle et du
Directeur d’Hôpital. Mais avec deux limites : d’abord, la mesure de
l’efficacité des ARS – et plus largement, le suivi de la politique de santé par
le Parlement – sont encore trop focalisés sur les coûts, et pas assez sur la
qualité et l’accès des soins. Pour preuve, le nom du document fixant les
orientations annuelles (« loi de financement de la sécurité
sociale »), qui contient tout sur les coûts, mais presque rien sur les
voies et moyens de l’amélioration des soins, ou l’analyse scientifique de leur
impact sur la santé publique. Enfin, au quotidien, alors que d’autre pays ont
une approche médicale et scientifique des décisions, nous restons dans un
pilotage comptable et politique.
De plus, on
continue d’opposer les hôpitaux publics et privés, alors que la vraie question
est celle de la contribution des uns ou des autres au niveau de santé
publique : pour la formation, la recherche et les cas complexes, le public
sera difficile à battre, et il doit être rémunéré correctement. A l’inverse,
pour certaines opérations simples, le statut privé peut probablement permettre
d’atteindre une productivité supérieure – bienvenue si elle bénéficie in fine
au patient et au contribuable.
Arrêtons également de
vouloir décider si l’administration doit avoir le pouvoir sur le médecin, ou
l’inverse.  Ce qu’il faut c’est moins
« dire qui est le chef », que faire en sorte que les finalités sur
lesquelles chacun est jugé soient claires (et donc que l’on mesure mieux la
qualité des soins et leur contribution à la santé des patients), et que chacun
des acteurs soit incité non pas à excuser ses faibles performances par les
défauts supposés des autres, mais à coopérer pour améliorer la situation. Il
faut sans doute moins de chefs, et plus de responsables !
3)    
Enfin, les réformes stratégiques nationales se
font attendre
. Il est vain d’espérer que le système s’améliorera grâce aux
seuls durcissements de la loi de financement de la sécurité sociale. L’Académie
nationale de médecine constate d’ailleurs que « les appels incantatoires
en faveur de la pertinence n’ont que des échos modestes sur le terrain ».
Les 65 millions d’acteurs de ce système (si l’on y inclus les patients), ne
disposent d’une information que limitée, et sont sensibles à de nombreux
lobbies. Le scandale du Mediator montre bien comment tout le monde peut se
taire lorsque chacun y trouve son compte. 
Pour cela, il faut du temps et de la constance : un changement de
culture (qui doit concerner un grand nombre pour avoir un impact) prend des
années (10 ans pour la prescription de médicaments génériques, autant pour la
réduction de consommation d’antibiotiques,…), tandis qu’une décision
réglementaire nationale a un impact en quelques mois.
Plusieurs domaines
sont en attente de choix stratégiques susceptibles de générer des milliards
d’euros d’économies : transports sanitaires, médicament, biologie,
transfert de compétences (d’actes aujourd’hui médicaux vers les professions
paramédicales), l’engorgement des urgences (dont une partie des patients ne
relève pas de l’hôpital), l’incitations aux économies, … Si les acteurs locaux
peuvent réguler des dépenses, ils ne peuvent réformer le système tant leur
gestion est contrainte par un excès de décrets et de normes (trop coûteuses pour
un effet marginal). Enfin, la plupart du temps, leur intérêt est davantage de
taire les difficultés et d’assurer la paix sociale, que de prendre en main les
difficultés pour tenter de réformer – des exemples récents montrent qu’il ne
fait pas bon s’investir dans la réforme.
Au final, il ne faudrait
que trois éléments « systémiques » pour espérer que les réformes
annoncées se transforment en actions :
         
D’abord, que l’on mesure mieux ce qui compte
vraiment
. La médecine est une science, et non une
discipline administrative ou politique. Nous devons mieux mesurer à la fois la
qualité des soins et leur impact sur la santé. Evaluer scientifiquement les résultats
obtenus pour améliorer la situation est une activité scientifique qui devrait avoir
au moins autant de place que les inspections portant sur l’audit comptable ou l’analyse
de la conformité aux textes. Car faute d’avoir une mesure claire des choses qui
comptent, ce sont les comptes et la communication qui seront les seules boussoles
du système de santé ;
         
Ensuite, que les incitations à améliorer soient
claires
 : celui qui contribue fortement à
améliorer la qualité des comptes et des soins tout en évitant de brutaliser le
personnel doit être davantage reconnu – qu’il soit médecin ou directeur
d’hôpital ou d’ARS – par rapport à celui qui assure le calme politique et la
« gestion courante » ;
         
Il faut également donner aux acteurs locaux les
moyens d’agir
. Dans certains domaines, il faut plus de
ressources, ou des compétences nouvelles. La formation purement médicale d’un
côté, administrativo-juridique de l’autre doit être complétée des formations à
la conduite du changement et au management opérationnel. Des qualifications
nouvelles, comme l’analyse des données de santé, ou la gestion efficace des
processus, doivent être développées et reconnues – à l’intérieur ou en dehors
des corps existant ;
         
Enfin, qu’on les laisse faire ! Personne ne conteste l’importance que des
questions aussi importantes que la santé doive, à un moment, présenter des
décisions à une instance politique – conseils d’administration ou parlement. En
revanche, ces instances doivent non pas d’interférer politiquement avec les
questions de santé, mais d’aider à trancher des questions de santé sur la base
d’informations rationnelles, et au nom du peuple français qui leur en a donné
mandat.

Quoique nous décidions, l’effort sur les dépenses
maladie va devoir être réalisé. La seule interrogation qui persiste est la
suivante : va-t-elle le faire de façon ordonnée en préservant la
qualité des soins (et la France a toutes les ressources pour cela) ou de façon
brutale et chaotique (comme en Europe du sud), où l’on risque de perdre à la
fois de l’argent et la qualité des soins.
À propos

Dédié à l'analyse des questions économiques, sociales et environnementales de long terme, L'Observatoire du Long Terme se fixe pour objectif de donner davantage de visibilité à ces enjeux dans le débat public. Dans ce contexte, il donne la parole à des contributeurs variés, avec pour seul critère le caractère étayé des arguments présentés.

L'Observatoire est indépendant, ne reçoit aucune aide financière et repose sur le volontariat de ses contributeurs, de son bureau, présidé par Vincent Champain et Bruno Fuchs.

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