Le management par le bonheur, idée à la mode ou nécessaire contrepartie ?

Publié dans Les Echos le 19/3/2014


Le moral des ménages atteint les plus bas niveaux depuis quarante ans. Le chômage bat des records. La croissance peine à décoller en France et faiblit dans les pays émergents. Or, plus l’environnement économique est dur, plus les salariés recherchent les entreprises qui les rendent heureux.

Les cyniques pointeront une mode managériale influencée par la psychologie positive anglo-saxonne. Les philosophes noteront qu’en période de moindres opportunités, le bonheur stoïque (tenter de faire désirer le job que l’on a) prend le pas sur le bonheur épicurien (tenter d’avoir le job que l’on désire). Les économistes noteront la causalité[1] entre employés heureux, employés productifs et clients satisfaits. Mais nul ne niera que le « management par le bonheur » est à la mode. Même la sérieuse OCDE, davantage connue pour ses travaux sur les déficits publics et les réformes structurelles, publie une étude sur le bien-être au travail[2].

De plus en plus d’entreprises se construisent sur l’inverse du modèle d’entreprise bâtie sur l’idée que le succès collectif donnera les moyens du bonheur individuel de chacun. Sarenza insuffle à ses employés un « esprit drôle et décalé dans des pieds bien chaussés ». MyLittleParis prône un « Wow Effect » afin d’étonner et d’inspirer le quotidien de ses abonnées, et organise pour ses salariés des moments de partage pour découvrir ensemble de nouveaux concepts ou tendances afin de nourrir leur créativité. SeLoger accompagne ses employés dès le recrutement avec des messages forts sur sa culture et promeut l’épanouissement de ses salariés autant que leur performance.  De plus en plus de grandes entreprises mesurent par enquête l’adhésion à la stratégie de l’entreprise, le sentiment d’épanouissement ou le ressenti sur les perspectives de développement.

Elles suivent des stratégies variées, mais qui partagent trois dimensions:

  • Donner à chacun une maîtrise de ses activités. Plus le système de management sera clair sur les finalités en laissant de la souplesse sur les façons d’y arriver, et plus il permettra d’accompagner le développement de nouvelles compétences, plus les salariés s’y épanouiront.
  • Renforcer le lien et le sentiment d’appartenance. Chacun de nous a besoin de faire partie d’un groupe et d’y trouver une place. Francis Fukuyama décrivait 6 critères qui renforcent la cohésion d’un groupe : la taille (le sentiment d’appartenance sera plus fort dans une PME ou dans une petite équipe), l’existence d’une identité forte (une entreprise qui se démarque par son image générera plus d’adhésion), la fréquence des relations (les rencontres physiques pèsent plus que les conference calls), l’existence de valeurs communes (des règles ou des méthodes communes, une culture forte…), le niveau de justice (les salariés seront plus attachés à une entreprise méritocratique) et le niveau de transparence (par exemple pour les opportunités de mobilité interne ou la collégialité des décisions).
  • Veiller à partager largement une « raison d’être » claire. « Il n’est pas difficile de prendre des décisions quand on sait quelles sont nos valeurs »[3]. Les employés sauront eux-mêmes partager ce sens et cette sérénité avec leurs clients et leurs fournisseurs,  donner et obtenir le meilleur. Ils animeront leurs équipes comme si c’était leur propre PME.

Chaque gouvernement promet de nouveaux champs à la négociation collective, de nouvelles lois puis de nouvelles simplifications. Mais curieusement, la question du bonheur au travail est le grand absent des agendas sociaux. Certes elle se prête difficilement à des lois, mais elle pourrait par exemple faire l’objet de discussions avec les représentants des salariés, ou constituer une orientation utile des programmes de formation. Dès lors, pourquoi ne pas en faire la première des contreparties du pacte de responsabilité ?


Vincent Champain est président de l’Observatoire du Long Terme (https://longterme.org)
Orit Suleyman dirige AO Conseil, Cabinet de Recrutement de cadres dirigeants


[1] Voir notamment http://pps.sagepub.com/content/5/4/378.abstract
[2] Well-being in the workplace: Measuring job quality”, OCDE, novembre 2013
[3]Roy E.Disney

À propos

Dédié à l'analyse des questions économiques, sociales et environnementales de long terme, L'Observatoire du Long Terme se fixe pour objectif de donner davantage de visibilité à ces enjeux dans le débat public. Dans ce contexte, il donne la parole à des contributeurs variés, avec pour seul critère le caractère étayé des arguments présentés.

L'Observatoire est indépendant, ne reçoit aucune aide financière et repose sur le volontariat de ses contributeurs, de son bureau, présidé par Vincent Champain et Bruno Fuchs.

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1 COMMENTAIRE

  1. soyons concrets et visons le "Bien Etre au Travail" celui qui fait sens et pas celui des vendeurs de bisounourseries.

    l'IBET le mesure de façon sectorielle et le désengagement social coûte 12K€/an/salarié

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