Les drones français, futures victimes du principe de précaution ?

Quelle place pour la France dans le « Game of drones » ?


CREDIT: REUTERS/MARIANA BAZO

Par Jean-Baptiste FANTUN et Véronique VENTOS

Pôle Technologie de l’Observatoire du Long terme
Publié par La Tribune.fr, le 4 mars 2014. 
Ils seront
bientôt en permanence au-dessus de nous et nous ne les verrons pas. Il s’agit bien
entendu des drones, qui sont déjà en train
d’investir notre vie quotidienne : agriculture, immobilier, sauvetage,
surveillance, média, etc. Mais
la France saura-t-elle trouver sa place sur ce marché prometteur ?
Un potentiel d’utilisation quasi-infini
Des
drones sont déjà utilisés par les services de police européens et américains ainsi
que par les « Border Patrols » américains.. Dans le domaine agricole,
ils permettront de surveiller les plantations, de prévenir les maladies et même
de déclencher des pluies par le biais de fusées embarquées. Dans l’immobilier,
des drones positionnés à l’altitude des futurs logements permettront de montrer
aux acheteurs potentiels la vue exacte depuis le futur étage d’un immeuble non
encore construit. Des drones sont déjà à l’œuvre
pour la surveillance de pipelines ou de voies ferrée. Les écoles de journalisme
vont bientôt inclure des cours de pilotage de drones, désormais indispensables,
comme nous avons pu le constater lors des Jeux de Sotchi. Enfin, suivant la
voie ouverte par Amazon en décembre 2013, des drones seront utilisés pour les
livraisons aux particuliers, notamment dans les zones les moins accessibles (https://www.youtube.com/watch?v=liLaQcdYrd0).
Des progrès fulgurants dans les prochaines
années
Le drone est d’abord un
produit high-tech avec une prééminence du software, avec un rythme de
développement rapide, plus proche de celui du smartphone que de celui de
l’aéronautique.
Les drones  du futur pourront accomplir leurs missions
sans  aucune  aide 
humaine, y compris lorsque des événements imprévus surviendront.  On les retrouvera ailleurs que dans les
airs avec des drones terrestres se déplaçant en imitant les animaux ou des
drones sous-marins capables d’effectuer des sauvetages en mer. Ils gagneront en
autonomie en bénéficiant de modules « intelligents » issus de
l’Intelligence Artificielle tels que l’apprentissage automatique qui permet d’apprendre   de nouvelles règles à chaque mission, la
planification qui pourrait leur 
permettre de gérer l’imprévu, la reconnaissance de formes leur
permettant d’apprendre le terrain,  de
reconnaître une situation déjà vécue, 
etc … et enfin les systèmes d’intelligence artificielle distribuée tels
que les systèmes multi-agents (SMA).
Bientôt
des escadrilles de drones
L’utilisation des SMA permettra
de rendre « intelligent» un groupe de drones afin de lui  faire bénéficier d’un système de
communication et d’entraide (http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=xHBhBVbjj2Y). De nombreuses  applications sont envisageables, par exemple
dans le domaine spatial où des « micros satellites » seront beaucoup
moins onéreux qu’un satellite principal, et 
plus résistants aux pannes qu’un unique satellite.
Une législation à adapter aux nouveaux
risques
Il
est vrai que ces nouveaux objets volants font apparaître des risques
nouveaux.  Récemment, un jeune homme de
18 ans a survolé et réalisé des prises de vue de la ville de Nancy en toute
illégalité avec le risque d’un atterrissage forcé en zone habitée. En septembre
2013, le Parti pirate, pour protester contre la surveillance excessive de la
société civile, a fait atterrir un drone aux pieds de la chancelière allemande
Angela Merkel. D’une farce sympathique, on aurait pu passer à un drame
national : un terroriste aurait pu faire atterrir le même drone avec une
charge explosive déclenchée à l’atterrissage.
Plus
grave encore, en août 2013 aux Etats-Unis, un drone multirotors s’est écrasé au
milieu d’une foule dense, faisant par miracle peu de dégâts (http://www.youtube.com/watch?v=uEGeKNQAVqA).
 Enfin, la perspective de l’utilisation
de drones à des fins terroristes hante tous les services de sécurité. On
imagine également les dégâts que pourrait faire un drone aspiré dans le moteur
d’un avion de ligne.
Face à ces nouveaux risques, la France a été le premier pays à se doter
en avril 2012 d’un cadre législatif (http://www.federation-drone.org/wp-content/uploads/2013/06/Arrêté-constructeurs-et-opérateurs.pdf).
Pour un engin non doté d’une caméra et
pesant moins de 25 Kg, les textes obligent simplement à ce que l’appareil et
son conducteur restent en contact visuel, en-dessous d’une altitude de 150
mètres et hors des zones dangereuses ou interdites. En revanche, si le drone
est muni d’un moyen de filmer ou de prendre des clichés, la réglementation se
fait plus stricte. La loi n’opère pas de distinction entre usage personnel et
professionnel et précise qu’en fonction de la zone survolée, des autorisations
préfectorales doivent être demandées. C’est par exemple le cas pour des vols se
déroulant en agglomération ou à proximité de personnes ou d’animaux, en vue
directe et à une distance horizontale maximale de 100 mètres du pilote. Ce
texte, dont le mérite est d’avoir été précurseur, est considéré par de nombreux
opérateurs français comme très imprécis et trop restrictif pour les
professionnels, risquant ainsi d’entraver à court terme le développement du
marché du drone en France. L’arrêté d’avril 2012, rédigé par la Direction
Générale de l’Aviation Civile au titre d’une expérience de 18 mois, devra
impérativement être revu ces prochains mois et la nouvelle législation est
attendue avec anxiété par les entreprises françaises du secteur.
Aux Etats-Unis, une méthode à la fois prudente et favorable aux
débouchés industriels
Les drones civils ne seront pas autorisés dans l’espace aérien américain avant 2015. D’ici là,
l’organisme de régulation de l’espace aérien, la FAA, souhaite définir
graduellement les règles de vol pour tous les types d’appareils. Le Congrès
américain, vient donc de délivrer six autorisations de tests à des sites situés
en Alaska, Nevada, Etat de New York, Dakota Nord, Texas et Virginie. Ces six
sites ont été choisis pour la diversité géographique et climatique que
présentait leur emplacement aux Etats-Unis.
Sur chaque site seront effectués des
essais de différente nature : technologie de détection et d’évitement
d’obstacles, direction et contrôle, normes pour les stations de contrôle au
sol, navigabilité, procédures en cas de connexion perdue, protocole d’échange
avec le centre de contrôle de la circulation aérienne. Les résultats de ces
tests serviront à l’élaboration de la réglementation pour un usage civil et
commercial des drones aux Etats-Unis.
Cette méthode empirique, qui donne une
grande liberté aux opérateurs tout en circonscrivant précisément les zones de
test et la nature de ces tests, va permettre sans nul doute aux entreprises du
secteur d’avancer rapidement, en partenariat étroit avec les universités locales
également mobilisées sur le sujet. Du point de vue industriel, ils offrent une
opportunité unique pour « tester en grandeur réelle » de nouveaux
services – de la livraison de livres ou de pizzas jusqu’à l’accompagnement de
personnes atteintes de déficience visuelle. C’est la principale différence qui
existe entre le cadre américain, et le cadre français : dans les deux cas
on a essayé de trouver le bon équilibre entre sécurité (éviter les accidents)
et innovation (laisser un espace pour que des technologies innovantes puissent
être testées et améliorées). Mais dans le cas français le « principe de
précaution » a prévalu (on interdit tout ce qui semble dangereux, sans
penser que le développement technologique peut précisément réduire les risques)
alors que les Etats-Unis ont su trouver une place pour le « principe
d’innovation » (une innovation comportant des risques peut être améliorée,
et l’expérimentation entre innovateurs et régulateurs permet d’y contribuer).
Un secteur prometteur en France
La France, qui dispose de  chercheurs reconnus en Intelligence
Artificielle et qui bénéficie d’une expérience certaine dans le domaine du
drone militaire, a tous les atouts pour se positionner parmi les leaders du
drone civil. Elle peut également s’appuyer sur les savoir-faire de son
industrie aéronautique civile et militaire. Le dynamisme du secteur est
d’ailleurs impressionnant puisque celui-ci regroupe 350 entreprises, dont 250
ont été créées dans les 18 derniers mois !
Bref, comme dans beaucoup de
domaines, nous avons de réels avantages technologiques et des expertises
reconnues. Le cadre réglementaire qui leur sera offert peut permettre de
développer ces atouts et de les traduire en emplois et avance technologique
chez nous. Mais il peut également stériliser à la fois l’innovation, et freiner
le développement du marché des drones civils. Et dans ce cas, c’est ailleurs
que nos entrepreneurs iront exercer leurs talents….
À propos

Dédié à l'analyse des questions économiques, sociales et environnementales de long terme, L'Observatoire du Long Terme se fixe pour objectif de donner davantage de visibilité à ces enjeux dans le débat public. Dans ce contexte, il donne la parole à des contributeurs variés, avec pour seul critère le caractère étayé des arguments présentés.

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