Les secrets du modèle Japonais, ou comment réduire le chômage sans croissance.

Paru dans Les Echos

A l’heure où la France s’apprête à lancer ses réformes sociales, nul ne discute de la nécessité de changer tant personne ne se satisfait de notre niveau de chômage. En revanche, c’est sur la cible à viser que les débats se focalisent.
Le modèle nordique de flexicurité  est connu : un droit du travail flexible, un dispositif d’accompagnement vers l’emploi puissant et une double relation de confiance entre la société et le bénéficiaire. Ainsi, les dépenses de formation ou de placement des chômeurs au Danemark sont 40% supérieures aux nôtres alors que le chômage n’est que de 4%.
Le modèle britannique (5% de chômage) est moins protecteur. Il coûte la moitié du nôtre et l’indemnisation chômage est limitée à 85 euros par semaine pour un chômeur. Ce qui assure chacun de retrouver rapidement un emploi, c’est la fluidité du marché du travail. En affaiblissant le marché du travail, la crise a fait apparaître les limites de ce modèle comme le prouvent aux Etats-Unis les débats sur l’assurance-santé et le commerce ou le niveau du non-emploi (cf ci-après).
Moins connu, le modèle japonais est passé de 3,3% de chômage en 1996 à 2,8% actuellement. Entretemps le Japon, avec la Grèce et l’Italie, a connu la croissance la plus faible de l’OCDE, moins de 1%. Et le Japon n’a pas « dissimulé » son chômage, comme le taux de non-emploi (part de tous ceux en âge de travail qui n’exercent pas un travail), permet de le vérifier. Ce taux est au plus haut en Italie (43,5%) et très fort en France (35,8%) ou aux Etats-Unis (31,9%). Mais le Japon (27,3%) fait bien partie des pays les mieux placés, le record appartenant à la Norvège (24,7%).
La cause n’est pas à chercher dans le niveau de flexibilité : il est difficile au Japon de faire partir un employé sans auparavant prouver l’insuffisance de ses résultats et entreprendre des efforts de formation et de reclassement. Et même si les emplois précaires ont progressé au Japon et si les salariés des petites entreprises sont moins protégés, l’emploi reste en moyenne peu flexible. Mais il en va autrement pour les salaires. La représentation syndicale, située au niveau de l’entreprise, privilégie la défense de l’emploi sur celle des salaires. La part du salaire variable (20% en moyenne contre 11% aux Etats-Unis) apporte une flexibilité supplémentaire.
Au total le pouvoir d’achat du salaire moyen a reculé de 1% au Japon sur 20 ans, contre une hausse de 14% en Allemagne, 24,8% en France et 31,5% aux Etats-Unis. D’autres particularités (ouverture de limitée de l’économie, culture,…) viennent évidemment compléter le tableau. Mais la part des bas revenus est au Japon le double de la nôtre, mais il y a peu de sans domiciles fixes. Et au total, c’est avec moins de salaire et plus d’emploi que le Japon a géré sa faible croissance.
Que faut-il en retenir pour les réformes du président Macron et du gouvernement d’Edouard Philippe? D’abord, des messages d’espoir : même avec une croissance durablement faible on peut atteindre un chômage très bas. Garder certaines rigidités n’est pas rédhibitoire si celles qui grèvent réellement l’emploi sont levées. A ce titre,  il serait donc imprudent de négliger le coût du travail, qualifié ou non, et le mode de soutien aux bas revenus (SMIC ou allocation universelle réaliste telle que le RUA).
Enfin, face à l’essoufflement du modèle américain et à l’impossibilité d’un modèle japonais dans une France européenne, la voie la plus favorable est celle évoquée durant la campagne d’une plus grande flexibilité, mais assortie d’un dispositif d’accompagnement des individus performant. Or si quelques experts suffisent pour rédiger une loi de déréglementation, repenser un service d’accompagnement performant est une autre affaire qui demande des compétences et des moyens très différents. C’est pourtant une clef essentielle du succès des réformes à venir.
À propos

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