France 2040 : ce qui est déjà écrit, ce qu’il faut changer

Publié dans Les Echos .


Ceux que l’on appelle les « up and down economists » se  focalisent sur les évolutions immédiates de l’économie, comme les hausses ou les baisses de la bourse ou des prévisions de croissance. Ils hantent les chaines d’information pour expliquer le sens d’évolutions pour certaines aléatoires, pour d’autres d’une portée très limitée sur notre bien être. A l’échelle d’une génération, ce sont avant tout les leviers de long terme qui influenceront notre bien-être : passage de la science à la technologie puis à l’innovation, rééquilibrage entre zones économiques, évolutions démographiques ou qualification de la force de travail. Or une même situation appellera à des actions différentes selon le prisme par lequel elle sera observée. Les déficits d’il y a 45 ans pouvaient sembler être une faiblesse passagère qu’un recours à la relance par la dette suffirait à régler. Les leviers de long terme de la croissance – prix de l’énergie, démographie ou fin du rattrapage économique de la France – conseillaient l’inverse : adapter la France et ses mécanismes d’indexation (notamment des retraites) à une croissance structurellement réduite.

D’ici 2040, la Chine connaîtra une croissance double de la nôtre et deviendra la première puissance économique mondiale. Il est par ailleurs probable que les taux de change suivent la hausse du pouvoir d’achat des pays émergents. Celle du Japon s’est ainsi accompagnée d’un triplement du yen, avant lequel le « made in Japan » à bas coût semblait menacer notre industrie. In fine, c’est Renault qui a sauvé Nissan. De la même façon, les naissances qui feront la démographie de 2040 sont déjà là. Elles induiront une hausse du nombre de consommateurs français de 7% et une légère baisse du nombre d’actifs. En Chine ou en Europe de l’Est, la baisse dépassera 10%. L’effet de ces évolutions sera inflationniste : plus de consommateurs, pour moins de producteurs ici et beaucoup moins en Chine ou à l’Est.

Il reste bien sur des inconnues. L’impact de la technologie sur la productivité sera-t-il suffisant pour compenser les effets inflationnistes ci-dessus ? Dans ce cas,  salariés qualifiés et inactifs seront gagnants, à l’inverse des moins qualifiés qui exprimeront probablement leur frustration. Au contraire, si la productivité est insuffisante – notamment à cause du  vieillissement – l’inflation et les taux augmenteront alors que les profits et le pouvoir d’achat moyen baisseront. Ainsi que les coûts de tous ceux qui devront refinancer leur dette – dont l’Etat, c’est-à-dire nous tous. Ce scenario reste possible avec une innovation technologique dynamique, si la demande s’oriente encore plus fortement en faveur des services (aide à domicile, santé,…), moins touchés par les gains de productivité. Un autre risque majeur concerne le climat – nous perdrons un dixième de notre croissance à trente ans si nous échouons à éviter le réchauffement et à en modérer les effets.

Face à ces incertitudes, les populistes stigmatiseront les prospectivistes et agiront sur les symptômes, ce qui revient à limiter la stratégie  pour le climat à la subvention de la climatisation. La sagesse impose au contraire de construire un plan résistant aux chocs certains et capables de s’adapter aux évolutions possibles. Il serait ainsi aventureux de tout miser sur une inflation et un coût de la dette éternellement faibles. Il sera de plus en plus insoutenable de construire des politiques énergétiques basées sur une double subvention : une aide visible à l’installation des renouvelables, complétée d’une aide cachée mais croissante, liée au fait d’imposer aux autres énergies, et donc au consommateur, le coût de l’intermittence des renouvelables. Une programmation énergétique visant une réduction des émissions au moindre coût de long terme compte tenu d’un prix du carbone serait préférable. De même, notre stratégie de croissance doit à la fois développer le secteur technologique (en visant la création d’avantages compétitifs plutôt que des  clones ou des succursales de géants mondiaux) et celui des services qui va constituer une part croissante de notre consommation.

Ces choix, et bien d’autres, auront un impact durable pour les français. Il reste à en expliquer aux français les implications et débattre en toute transparence des choix qui en découlent.

À propos

Dédié à l'analyse des questions économiques, sociales et environnementales de long terme, L'Observatoire du Long Terme se fixe pour objectif de donner davantage de visibilité à ces enjeux dans le débat public. Dans ce contexte, il donne la parole à des contributeurs variés, avec pour seul critère le caractère étayé des arguments présentés.

L'Observatoire est indépendant, ne reçoit aucune aide financière et repose sur le volontariat de ses contributeurs, de son bureau, présidé par Vincent Champain et Bruno Fuchs.

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