La loi de Moore s’épuise, place au « more the Moore » »

 Publié dans l’Opinion le 25 decembre

Gordon Moore, l’un des fondateurs d’Intel, a énoncé en 1965 une prévision appelée depuis « la loi de Moore » : le doublement, tous les deux ans, du nombre des transistors d’un circuit intégré. L’anticipation de Moore s’est vérifiée durant plus d’un demi-siècle, le nombre de transistors d’un microprocesseur passant ainsi d’environ 1000 en 1970 à plus de 10 milliards en 2020. Cette croissance exponentielle est à la base de la révolution des technologies de l’information et de la communication et du développement vertigineux des capacités de calcul.


On observe néanmoins un épuisement progressif de la « la loi de Moore ». Des limites physiques empêchent d’augmenter à l’infini le nombre de transistors : ils atteignent actuellement 3 nanomètres, soit 15 atomes de silicium. Dans le même temps, les coûts de R&D et de construction d’une usine de microprocesseurs permettant de demeurer proche de la « la loi de Moore » augmentent de façon exponentielle : plus de 10 milliards pour l’usine qui gravera les transistors de 3 nanomètres.

Cela suffit à certains pour prophétiser l’épuisement de la loi de Moore, le tarissement des gains de productivité et la fin prochaine du progrès technique tel que nous le connaissons. Une telle perspective aurait des conséquences graves. Sans ces gains de productivité, les grands défis auxquels nous devons faire face – transition climatique, vieillissement de la population, désendettement public, … – se traduiront par des renoncements et de violents conflits de répartition.

Heureusement, il y a de sérieuses raisons d’envisager des perspectives plus favorables : l’épuisement de la « la loi de Moore » ne siffle pas la fin du progrès technologique et le tarissement des gains de productivité, dont la faiblesse actuelle s’explique par d’autres causes. Il existe plusieurs pistes technologiques pour prendre la relève de la « la loi de Moore ». A long terme, l’informatique quantique devrait ainsi se traduire par une progression explosive des capacités de calcul de tous les produits technologiques.

Gains de performance. D’ici là, les puces 3D permettront de continuer à densifier les circuits intégrés en empilant en trois dimensions au lieu de deux les transistors. Cette évolution pourrait nous offrir au moins une à deux décennies de poursuite de la « la loi de Moore ». Bien sûr, ces progrès nécessitent de surmonter des difficultés techniques telles que les questions de connectique ou de dissipation thermique. Mais elles ne semblent pas insurmontables.

Ensuite, les gains de performances induits par la « la loi de Moore » ont été si rapides qu’ils demeurent encore largement sous-utilisés. Par exemple, tous les processus sont encore loin d’être numérisés (comme chacun a pu le constater en remplissant à la main ses autorisations de sortie Covid) et les logiciels sont souvent sous-optimisés car conçus sur l’idée que la mémoire, la capacité de calcul ou la consommation énergétique coûtent moins cher que le temps des développeurs.

Il reste donc un large potentiel d’amélioration qui prendront des décennies à être totalement exploitées, comme cela a été le cas dans les précédentes révolutions technologiques. Ces améliorations alimenteront les gains de productivité qui permettront de faire face avec sérénité aux grands défis qui nous attendent.

L’International Roadmap for Devices and Systems (IRDS), a proposé pour cela l’expression « More than Moore » : durant plusieurs décennies, nous devrons aller au-delà de ce que nous a apporté la « la loi de Moore » pour bénéficier de larges gains de productivité. Ces gains se manifesteront avant tout dans les services qui font la majorité de notre PIB. Le digital permettra de les industrialiser et les virtualiser pour les rendre plus productifs et moins gourmands en énergie. Il augmentera aussi la productivité des services créatifs, grâce à l’ingénierie ou la médecine augmentée ou aux progrès de l’intelligence artificielle générative.

Pour que ces transformations aient lieu, nous devrons être capables d’adapter nos institutions des marchés du travail et des biens, des systèmes éducatifs, des services publics… Car comme dans chaque révolution technologique, les pays qui ne sauront pas adapter leurs institutions décrocheront par rapport aux autres en termes de croissance mais aussi termes de modèle social. L’après « la loi de Moore » se jouera donc plus dans la capacité à anticiper la digitalisation des services et des tâches de conception et à engager les réformes nécessaires à cela que dans la capacité à réduire encore la taille des transistors. Ne manquons pas l’opportunité du more than Moore !

Gilbert Cette est professeur d’économie à Neoma Business School et Vincent Champain est dirigeant d’entreprise et président de l’Observatoire du Long Terme.


(c) https://longterme.org https://longterme.fr

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