Savoir échouer pour mieux innover

Paru dans Option Finance le 9 janvier.

Notre époque est à la fois marquée par l’accélération de l’innovation – l’intelligence artificielle ou la médecine personnalisée ont fait des pas de géant ces dernières années – et une forte aversion au risque, comme en témoignent le principe de précaution ou la
difficulté croissante à débattre des enjeux de long terme face à la « twitterisation » du débat public. Or qu’il s’agisse des grandes avancées technologiques ou des petits pas quotidiens de la productivité, on n’innove pas sans prendre des risques.

Pas d’innovation radicale sans surmonter des risques et des déconvenues

Les grandes avancées technologiques de notre histoire ont nécessité de passer par des erreurs ou des échecs. Tout le monde se souvient du premier pas de l’homme sur la lune le 20 juillet 1969, mais qui se souvient des difficultés qui ont précédé ces pas ?
Pourtant, le programme Apollo a mobilisé plus de 150 milliards et 400.000 hommes, largement plus que le budget initial. Le programme a connu des déconvenues et des retards multiples, à tel point que trois ans avant l’alunissage Samuel Phillips, chargé de clarifier les causes du retard et des surcoûts du programme spatial, accompagnait son rapport de cette mise en garde : « Même après prise en compte des éléments positifs, je n’ai pas pu trouver de raisons solides qui donneraient confiance dans la performance future du programme ». Le vaisseau spatial, initialement estimé à 400 millions de dollars, coûta finalement neuf fois plus. Un incendie a emporté l’équipage d’Apollo 1 deux ans et demi avant Apollo 11. En 1970, c’est l’explosion d’Apollo 13 – le fameux « Houston,
on a un problème » du film avec Tom Hanks. En 1982, une mise à jour logicielle erronée causa la perte de Viking I, parti explorer Mars. En 1986, le vaisseau Challenger explose 73 secondes après son décollage, emportant l’ensemble de l’équipage à cause de la défaillance d’un joint à 70 centimes.

Tous ceux qui ont eu l’occasion d’être impliqués dans des grands programmes connaissent la solitude du directeur de projets face aux difficultés et l’incompréhension de ceux qui ne se sont jamais engagés dans ce type d’aventure. Les plus cyniques souligneront que lancer des projets ambitieux dans des cultures impropre conduit à une séquence bien établie :

  • D’abord, l’enthousiasme du démarrage, lors duquel chacun cherche à s’associer au projet ;
  •   Puis les doutes qui suivent les premières difficultés, inhérentes aux projets complexes puisqu’il s’agit de trouver une solution nouvelle à un problème difficile :
    certaines voies devront être abandonnées et des erreurs détectées lors des multiples vérifications devront être corrigées ;
  •   Suit l’hystérie qui accompagne les annonces d’augmentation des délais et des coûts, avec la multiplication d’audits et de procédures de contrôle ;
  •   Vient ensuite la recherche de coupables, qui vise à chercher un responsable aux problèmes rencontrés même lorsqu’il s’agit de risques inhérents au projet ;
  •   Ensuite, on assiste à la punition des innocents, consistant à sanctionner les personnes qui ont eu la malchance de participer au projet ;
  •   Le cycle s’achève par la promotion de ceux qui n’ont pas été impliqués dans le projet.

Or pour réussir des innovations de rupture, il faut faire l’inverse : permettre d’explorer des voies nouvelles même si certaines sont vouées à l’échec, garder son calme face aux imprévus et construire un plan et un budget laissant assez de marges de manœuvre, et valoriser ceux qui prennent des risques par rapport à ceux qui passent en revue. Car le
risque est inhérent aux projets ambitieux : les méga projets industriels sont 85 % à finir hors budget et ce taux atteint 90% pour les projets d’infrastructure (+2000% pour le Canal de Suez). Le surcoût dépasse 80% dans 23% des grands projets informatiques. Une partie de ces dépassements est liée à la conception, la gestion ou la gouvernance du projet, voire à un excès d’optimisme. Mais ces aléas tiennent aussi à l’impossibilité à prévoir totalement des programmes dont une grande partie des détails ne sont pas connus au démarrage. Il est plus facile de respecter le calendrier de construction de la centième maison d’un lotissement ou d’un site de rencontres en ligne que d’envoyer un cosmonaute sur une autre planète, construire un nouveau type de centrale nucléaire ou d’éradiquer le virus du Sida.

Les bugs : la fumée qui accompagne le feu numérique

On a coutume de dire que le « logiciel mange tout », c’est-à-dire qu’une part croissante des activités est remplacée par des logiciels. Cette évolution est globalement favorable, mais elle s’accompagne de deux tendances vues de façon moins positive : la hausse des couts informatiques, et l’importance croissante des bugs dans notre vie quotidienne.

Les directions informatiques sont les premières victimes de la croissance du numérique : la productivité de tout le monde augmente (assistantes, archivistes, comptables, magasiniers,…) mais au prix de dépenses supplémentaires en informatique et d’une dépendance accrue aux infrastructures informatiques. Quels que soient les efforts de maitrise des couts, les budgets informatiques augmentent régulièrement, souvent dans l’incompréhension des directions financières (dont les tâches sont pourtant parmi les plus
automatisables). Par ailleurs, cette évolution entraîne une dépendance croissante au numérique, qui génère des surcouts supplémentaires pour renforcer la qualité de service, ou aider les collaborateurs à comprendre et utiliser les outils mis à leur disposition. En effet, le moindre problème de disponibilité du réseau d’entreprise génère désormais des foules d’utilisateurs mécontents : une panne de réseau de 5 minutes passait inaperçue lorsque l’email était le principal outil informatique, elle bloque désormais les entreprises qui télétravaillent. De la même façon toute nouvelle solution (ordinateur, logiciel, dispositif de sécurité…) induit des couts d’accompagnement pour la majorité des personnes qui ne maitrisent pas le fonctionnement de leurs outils dans les cas les moins simples.

On a coutume de dire que le « logiciel mange tout », c’est-à-dire qu’une part croissante des activités est remplacée par des logiciels. Cette évolution est globalement favorable, mais elle s’accompagne de deux tendances vues de façon moins positive : la hausse des couts informatiques, et l’importance croissante des bugs dans notre vie quotidienne.

Les directions informatiques sont les premières victimes de la croissance du numérique : la productivité de tout le monde augmente (assistantes, archivistes, comptables, magasiniers,…) mais au prix de dépenses supplémentaires en informatique et d’une dépendance accrue aux infrastructures informatiques. Quels que soient les efforts de maitrise des couts, les budgets informatiques augmentent régulièrement, souvent dans l’incompréhension des directions financières (dont les tâches sont pourtant parmi les plus
automatisables). Par ailleurs, cette évolution entraîne une dépendance croissante au numérique, qui génère des surcouts supplémentaires pour renforcer la qualité de service, ou aider les collaborateurs à comprendre et utiliser les outils mis à leur disposition. En effet, le moindre problème de disponibilité du réseau d’entreprise génère désormais des foules d’utilisateurs mécontents : une panne de réseau de 5 minutes passait inaperçue lorsque l’email était le principal outil informatique, elle bloque désormais les entreprises qui télétravaillent. De la même façon toute nouvelle solution (ordinateur, logiciel, dispositif de sécurité…) induit des couts d’accompagnement pour la majorité des personnes qui ne maitrisent pas le fonctionnement de leurs outils dans les cas les moins simples.

Le développement de l’importance du logiciel dans notre vie quotidienne entraine également une augmentation croissante du nombre de bugs. En effet, de plus en plus de personnes réalisent des logiciels ou les paramètrent – les métiers de l’informatique sont désormais, de loin, le premier débouché scientifique – et un nombre croissant de lignes de codes. Or les bons développeurs sont rares, et la productivité ou la qualité du travail d’un développeur peut facilement varier dans un ratio de 1 à 20. En outre, le développement logiciel est devenu en grande partie un travail d’ensemblier de système complexe, consistant à assembler des composantes d’origines diverses (commerciales, open source, ancien codé réalisé dans la même entreprise,…). Or personne n’a une connaissance intime de chaque ligne de chacune de ces composantes, et chacun d’entre elles aura son lot de problèmes de qualité. Récemment, le défaut d’une de ces composantes (Log4j) a ainsi créé une crise mondiale (voir  https://fr.wikipedia.org/wiki/Log4j).Enfin, il faut bien reconnaitre qu’une partie de ces développements sont parfois réalisés en dehors de tout cadre assurant un niveau minimum de qualité ou avec un sens des priorités douteux. On prête ainsi la citation suivante au responsable produit d’un éditeur logiciel « Je préfère un mauvais logiciel à un logiciel en retard, vendre un correctif plus tard ou un service de maintenance augmentera mes revenus. »

Et  par conséquent le nombre d’erreurs augmente. Un développement réalisé par un éditeur sérieux leader dans son domaine contiendra encore 10 à 20 défauts par millier de lignes de code détectés durant la phase de tests. Il restera cinq à un défaut pour dix mille lignes de code dans les produits mis sur le marché, en fonction de l’intensité des efforts de l’entreprise  [dont environ deux tiers seront identifiés lors de la première année d’utilisation. Le monde produisant des dizaines de milliards de lignes de code chaque année, il va donc produire des millions de bugs par an. Ces bugs sont de plus en plus présents dans notre vie – ils ont déjà entrainé des pannes de trains, des crises énergétiques ou des blocages de l’espace aérien. D’une certaine façon ils sont la fumée qui accompagne le feu digital : pas de productivité sans bugs !

Certes il existe des méthodes pour réduire le nombre de défauts, mais même appliquées à des produits reproduits à l’identique à des millions d’exemplaires (ce que ne sont pas les logiciels, qui répondent à des besoins nouveaux à chaque fois), elles laissent passer des failles. Ainsi, le taux de défauts sur les nouveaux véhicules est loin d’être négligeable (plus de 7%, et il augmente régulièrement) alors même que l’industrie automobile est l’une des plus avancées dans les méthodes de qualité et d’excellence opérationnelle !

Pour 2023, plutôt que nous souhaiter du bonheur, de la santé et de la chance, souhaitons-nous plutôt ce qui constitue la meilleure voie pour les obtenir durablement : retrouver le droit à l’erreur, rester unis face aux aléas et garder un cap à long terme malgré les difficultés immédiates !

(c) https://longterme.org https://longterme.fr

À propos

Dédié à l'analyse des questions économiques, sociales et environnementales de long terme, L'Observatoire du Long Terme se fixe pour objectif de donner davantage de visibilité à ces enjeux dans le débat public. Dans ce contexte, il donne la parole à des contributeurs variés, avec pour seul critère le caractère étayé des arguments présentés.

L'Observatoire est indépendant, ne reçoit aucune aide financière et repose sur le volontariat de ses contributeurs, de son bureau, présidé par Vincent Champain et Bruno Fuchs.

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