Vincent Champain
*C’est à dire des services qui valent moins pour ceux qui en bénéficient (soit qu’ils ne correspondent à aucun besoin clair, soit qu’une qualité d’exécution insuffisante les rende sans valeur) qu’ils ne coûtent à la collectivité.
Budget : une MESANGE ne fait pas le printemps
Publié ce jour par Les Echos.
Faut-il réduire les dépenses, augmenter les impôts ou les déficits ? Dans ce vieux débat, le modèle Mésange était cité comme témoin ce week-end : selon une note du Trésor basée sur ce modèle et obtenue par la commission des Finances, les baisses de charges créeront 190.000 emplois, mais les réductions de dépenses en supprimeront 250.000.
Or un modèle tel que Mésange est construit à partir d’hypothèses sur le fonctionnement de l’économie – par exemple, plus de dépense publique crée de l’emploi, plus d’impôt en détruit. Il est ensuite « calibré » : on utilise des données historiques pour estimer la valeur des paramètres du modèle (par exemple, le nombre d’emplois créés par 1 milliard d’euros de dépense publique). Par construction, ces modèles vont estimer plus précisément le court terme (dépenser plus stimule l’emploi) que le long terme (passer des années à trop dépenser étouffe les secteurs à plus haute valeur ajoutée, tue la compétitivité et détruit plus d’emplois qu’un niveau de dépense raisonnable) – c’est le « biais keynésien ». Pour prendre une analogie, chacun saisit mieux l’intérêt immédiat de faire un bon repas gastronomique plutôt que les bénéfices à long terme d’une séance de sport. De là à en faire une règle de vie…
De plus, ces modèles estiment des ordres de grandeur sur la base du passé, tels que le nombre d’emplois moyen induit par 1 milliard de dépense publique en plus. La réalité peut être supérieure si ce milliard est dépensé dans le cadre d’une réforme d’amélioration de la performance scolaire déclinante de la France. A l’inverse, si ce milliard va à des dépenses à valeur ajoutée négative*, l’effet de long terme sera catastrophique. Pour reprendre notre analogie, 1 kilo de nourriture supplémentaire n’aura pas le même effet s’il s’agit de sucreries ou d’un cocktail répondant aux carences de celui qui l’absorbe.
Enfin, ces modèles ignorent bien des choses, comme l’intérêt pour la France de faire preuve de cohérence et de continuité dans ses choix ou la nécessité pour la France de réduire le coût du travail au niveau du SMIC (les charges y sont faibles, mais le coût total rend insolvables certains emplois). De ce fait, les résultats d’un modèle ne valent rien sans l’analyse d’un expert au fait des limites du modèle. En fonction de ce qu’il dévoile – ou de ce qu’on lui laisse dévoiler -, l’interprétation des résultats du modèle peut elle-même être biaisée. Par exemple, des mesures qui détruisent durablement l’emploi peu qualifié vont toucher les Français les plus modestes : tout économiste sérieux le sait. C’est vrai notamment des mesures de hausse du SMIC ou de hausse du coût de travail peu qualifié : cacher ces réalités, c’est sortir du rôle d’expert et prendre le parti antisocial de négliger les plus modestes. A l’inverse, l’expert qui omettra de signaler le biais keynésien de son modèle ou d’indiquer le caractère très relatif de ses résultats prendra de fait le parti du court terme, au détriment du bien-être de long terme des Français.
C’est pourquoi les estimations des modèles ne doivent pas être surinterprétées. La France est en fait dans la peau du patient dépressif parce que obèse qui voudrait aller mieux tout de suite. Le médecin clientéliste conseille un bon repas – c’est bon pour le moral et rend le médecin sympathique. Un autre suggérera l’anneau gastrique maastrichtien, reportant la frustration du régime sur Bruxelles. Le bon médecin comptera sur le bon sens du patient et lui expliquera qu’on ne peut pas aller mieux tout de suite, mais qu’avec le régime adapté il ira beaucoup mieux à moyen terme. Ce choix fait, ce n’est qu’à ce moment qu’il utilisera un modèle pour identifier et traiter les risques de carences liés au régime.
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