samedi, novembre 23, 2024

Pour lutter contre les inégalités, il faut s’attaquer aux rentes

Publié dans La TribunePropos recueillis par Ivan Best




Economiste, co-président de l’Observatoire du long terme, Vincent Champain défend une toute autre voie que celle préconisée par Thomas Piketty, pour lutter contre les inégalités: alors que Piketty préconise la mise en place d’un impôt mondial sur le capital, Vincent Champain estime possible de réduire ou tout au moins freiner les inégalités en luttant contre les rentes qui accroissent artificiellement la rentabilité du capital.
 Thomas Piketty, dans son livre à succès, détaille l’ampleur de la montée des inégalités, et suggère un moyen pour les freiner : une taxation mondiale du capital. Est-ce la bonne solution ?
 -Le travail de Thomas Piketty est précieux, en ce qu’il livre une somme d’informations sur les inégalités et leur évolution, notamment aux Etats-Unis. Cela étant, ses calculs montrant une envolée du stock de capital, aux Etats-Unis ou en France, peuvent être discutés. L’immobilier est pour beaucoup dans ce renchérissement, et l’on sait que sa valorisation peut être dopée par un effet de bulle : la solution aurait plutôt été de faciliter la construction et l’accession à la propriété que laisser se développer des rentes pour les taxer ensuite !
Par ailleurs, si l’on veut réduire ces inégalités, il y a deux manières de le faire. La première est celle suggérée par Thomas Piketty, la taxation. Elle pose de nombreux problèmes -comment mettre en place un impôt mondial ? De fait, cette solution peut donner lieu à un consensus entre protectionnistes (qui y verront un argument pour fermer les frontières) et égalitaristes (qui préfèrent taxer les riches que question les raisons qui font que les classes populaires bénéficient moins des fruits de la croissance). Ceci, avec le risque de pénaliser la croissance. Et ce risque n’est pas théorique : le récent rapport « La France dans dix ans » note qu’une cause importante des faiblesses de la France est de n’avoir pas assez développé et renforcé les secteurs exposés à la concurrence.
 -Quelle est l’autre solution ?
 -L’autre réponse à la montée des inégalités peut être qualifiée de « schumpetérienne » (en référence à l’économiste autrichien Joseph Schumpeter, théoricien de l’innovation). Au lieu de laisser des rentes se développer pour les taxer ensuite, il s’agit d’agir à la racine du problème en réduisant les rentes et de favoriser l’innovation et tous les processus aboutissant à augmenter le nombre de gagnants dans la société, afin d’éviter un partage des revenus entre quelques-uns. S’il est plus facile de créer une entreprise ou de construire un logement là où il existe une rente pour les entreprises ou pour les propriétaires immobiliers, les inégalités diminueront. C’est possible par une meilleure régulation. Exemple : l’introduction en France d’un quatrième opérateur dans la téléphonie mobile (Free) a fait baisser les prix des télécommunications et plus généralement de l’usage des smartphones.
Certaines études estiment à trois milliards d’euros le transfert de pouvoir d’achat qui en a résulté, au profit des consommateurs et au détriment des actionnaires des opérateurs. Trois milliards d’euros, c’est dix fois le revenu attendu de la fameuse taxe à 75% sur les rémunérations supérieures à un million d’euros : on voit là que l’arme fiscale est, globalement, beaucoup moins efficace que le jeu de la concurrence pour redistribuer du pouvoir d’achat et réduire les rentes. Certes, il faut veiller à ce que la régulation permette le bon niveau d’investissement et d’innovation, mais il vaut toujours mieux des règles du jeu économiques simples qui évitent la création de rente, que laisser se constituer des rentes pour les taxer ensuite !
 -La question des inégalités ne porte pas seulement sur le capital accumulé. Celle des revenus augmente aussi, y compris via les salaires. Aux Etats-Unis, seule une petite minorité de la population (1%) a vu ses revenus progresser depuis la crise…
-Cet enrichissement d’une petite minorité tient pour une bonne part à des phénomènes de bulle financière. Des salariés de la finance participant à des bulles, qui n’ont jamais cessé de se développer, et ce même depuis la crise de 2008, peuvent  y trouver matière à enrichissement. Les bulles financières ou immobilières sont une forme de rente. Et face à la bulle des subprimes une régulation adaptée et une plus grande transparence auraient sans doute été plus efficaces qu’une taxe…
 -Certains économistes évoquent la constitution de rentes dans les métiers de la finance, avec des chefs de salles de marchés, par exemple, qui jouissent d’un pouvoir de négociation immense et peuvent s’accaparer une bonne partie des bonus.
-Je ne suis pas partisan d’une culpabilisation de la finance. Il existe probablement des « rentes de complexité », qui protégent les insiders – seuls à comprendre des mécanismes complexes pas forcément créateurs de valeur. La bonne solution est plutôt de développer des politiques de lutte contre les rentes et les bulles.




À propos

Dédié à l'analyse des questions économiques, sociales et environnementales de long terme, L'Observatoire du Long Terme se fixe pour objectif de donner davantage de visibilité à ces enjeux dans le débat public. Dans ce contexte, il donne la parole à des contributeurs variés, avec pour seul critère le caractère étayé des arguments présentés.

L'Observatoire est indépendant, ne reçoit aucune aide financière et repose sur le volontariat de ses contributeurs, de son bureau, présidé par Vincent Champain et Bruno Fuchs.

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