samedi, décembre 21, 2024

Notre système de santé est-il condamné à la paupérisation ?

Personne n’échappe au débat sur la santé : en
France, la maîtrise des coûts du système de santé est désormais un débat
récurrent. Aux Etats-Unis, l’offre de santé est de grande qualité mais son coût
élevé est souvent sujet à débat. L’Affordable
Care Act
vise à améliorer l’accès aux soins en offrant une couverture santé
plus large.

Si les défis sont communs – soigner mieux au
meilleur prix – les démarches sont quant à elles différentes. Le secteur privé
et l’innovation ont été au cœur de la démarche américaine, comme l’illustre le
« Center for Medicare and Medicaid Innovation », destiné à développer
les modèles de fourniture et de prise en charge innovants. A l’inverse, la
démarche française est pilotée par une loi de financement qui, comme son nom l’indique, informe précisément
sur les dépenses mais très peu sur les résultats et leur évolution (délai
d’attente pour une IRM, temps de trajet pour accéder à un hôpital, accès aux
innovations médicales…).

Or,
si nul ne nie l’importance de veiller à la bonne gestion, c’est l’inverse qui
menace notre système de santé : piloté par les coûts, parfois étanche à
l’innovation et mesurant mal la valeur de ce qu’il produit, il risque la
« paupérisation » – c’est-à-dire de ne maitriser ses dépenses qu’au
prix d’une réduction encore plus forte de la qualité et de l’accès des soins.
Au final, les Français seront perdants : ils paieront un peu moins
collectivement (et un peu plus de leur poche) pour un service beaucoup moins
bon.
La santé, un secteur à
haute valeur ajoutée
Le
secteur de la santé dispose en France de nombreux atouts ;
·     
une
filière d’excellence reconnue (avec des professeurs reconnus dans de nombreux
domaines, des prix Nobel de médecine comme Françoise Barré-Sinoussi et Luc
Montagnier en 2008 ou Jules Hoffmann en 2011 et des pôles d’excellence
mondiaux)
·     
des
emplois nombreux et à haute valeur ajoutée (la santé atteint 12,5% de la valeur
ajoutée dans l’économie nationale et représente 12,7% des actifs en termes
d’emplois[1])
·     
des
champions industriels mondiaux (champions dont le siège est en France comme
Sanofi, ou champions étrangers plaçant dans notre pays centres de recherche, de
production et sièges d’activités mondiales comme General Electric), et des
startups prometteuses.
Or,
nous courons aujourd’hui le risque d’asphyxier ces atouts : pourquoi une
startup prometteuse sur une technologie nouvelle s’installerait-elle dans un
pays où les délais de mise sur le marché sont plus longs, le système de santé
moins perméable à l’innovation et la fixation des prix et la régulation –
tâches évidemment respectables – laisse une place réduite au dialogue sur le
développement des technologies utiles aux patients comme aux professionnels ?
Les bénéfices réels de
notre santé sont mal mesurés
« Le
PIB mesure tout, sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue »
a dit Kennedy. C’est aussi le cas en santé : si un médicament coûte 5 % de
plus mais réduit de moitié la mortalité du cancer, l’écart de coût sera mesuré,
mais personne ne comptabilisera les années de vie gagnées. Améliorer les
investissements réduira les délais d’attente par accéder à une IRM par exemple,
mais seul le coût apparaitra clairement dans le Projet de Loi de Financement de
la Sécurité Sociale (PLFSS).
Les
industriels pilotent leur organisation par la valeur ajoutée – c’est-à-dire augmenter
la valeur des produits tout en maîtrisant les coûts. A l’inverse notre système
de santé se donne encore peu de moyens pour piloter la valeur de ce qu’il
produit, alors qu’il mesure très précisément chacune de ses dépenses. Ce
faisant, il s’expose au risque de paupérisation, c’est-à-dire une maîtrise des
dépenses qui se fait au prix d’une réduction encore plus forte de la valeur
ajoutée des services de santé : au final, les français, pour lesquels seul
compte le rapport entre les coûts et la valeur ajoutée, seront perdants.
Il
est vrai que la tâche de l’Etat est complexe : pour piloter efficacement
un système qui « vend » des services dont l’usager ne paye qu’une
fraction du coût, il faut créer de toute pièce des « métriques » qui
mesurent la valeur réelle de ce qui est produit. Cette démarche n’est pas
simple : il faut tenir à distance les perfectionnistes (car il vaut mieux
quelques indicateurs imparfaits que ne rien mesurer du tout), les cassandres de
la « politique du chiffre » (qui pensent défendre le système de santé
en refusant d’en mesurer les bénéfices, alors qu’en l’absence de métriques de valeur,
il n’en reste qu’une seule : le budget), et les centralisateurs (les
grandes évaluations macroéconomiques ont leur place mais elles ne remplacent
pas les métriques mises à la disposition des responsables de terrain et
correspondant à une réalité médicale).
L’innovation peut être
favorable aux patients comme aux comptes de la sécurité sociale
De
nombreuses innovations sont favorables aux patients comme à la productivité du
système de santé, par exemple :
·     
le
développement de la chirurgie ambulatoire. En réduisant la durée de séjour des
patients, elle permettra aux hôpitaux de faire pour le même budget moins
d’hôtellerie et plus de soins.
·     
de
nouveaux traitements innovants (dans l’oncologie ou l’hépatite C) permettent de
réduire le nombre d’hospitalisations.
·     
dans
le domaine de l’équipement médical, la microscopie endoscopique permet d’éviter
les chirurgies inutiles du pancréas en permettant de réaliser une biopsie
optique en allant « regarder » directement à l’intérieur des kystes
pancréatiques. Or 57% des patients atteints de kystes bénins sans aucune
incidence sur leur santé subissent aujourd’hui une intervention chirurgicale
lourde et inutile.
·     
grâce
à l’archivage et au traitement numérique d’images médicales, les radiologues et
les médecins peuvent échanger immédiatement images et analyses – ce qui élimine
les dépenses de films et leur libère du temps supplémentaire pour se consacrer
à leurs patients. Même si la France est en retard sur l’imagerie numérique,
c’est en France que les premiers « clouds régionaux d’imagerie médicale »
mondiaux ont été développés.
·     
grâce
aux technologies de l’information appliquées à la santé, les patients souffrant
de diabète peuvent être mieux suivis. Or la France dispose d’un savoir-faire
reconnu dans le domaine des dispositifs connectés.
·     
l’automatisation
des laboratoires de microbiologie permet également d’améliorer à la fois la
qualité des soins et l’efficience des organisations. Les technologies
permettent de réduire significativement les délais de rendu de résultats en
appliquant la robotisation à l’ensemble des tâches manuelles à faible valeur
ajoutée qui sont nécessaires à la production des analyses. Les techniciens et
biologistes peuvent alors se consacrer aux tâches d’analyse biologique à haute
valeur ajoutée.
Approfondir le dialogue entre
industriels et système de santé public
Mais
la mise au point et la diffusion d’innovations nécessite un dialogue ouvert
entre le système de santé et les industriels : il ne s’agit en effet pas
de proposer un produit « sur étagère », mais de comprendre finement
les besoins et les contraintes des professionnels de santé, de concevoir une
solution nouvelle qui y réponde et d’assurer enfin une adhésion des équipes
médicales à cette innovation.
Or,
malgré les efforts réalisés, ce dialogue reste insuffisant et les entreprises
sont encore loin d’être considérées comme des « partenaires de
performance ». De plus, la logique de tarification à l’acte, utile par
ailleurs, cause en France une inertie qui n’existe pas dans d’autres
pays : pour les innovations qui nécessitent un tarif spécifique ou une
adaptation, il vaut souvent mieux aller ailleurs. La France y perd des emplois
industriels, et elle y perd également des moyens innovants pour réduire les
dépenses de santé.
Enfin,
personne ne nie évidemment l’importance de tout faire pour éviter les scandales
tels que ceux qui ont récemment secoué le monde médical. En revanche, il serait
à long terme encore plus catastrophique que ces affaires conduisent à
« jeter le bébé avec l’eau du bain » en poussant certaines parties de
l’administration à arrêter tout contact avec les entreprises, et à priver la
France du bénéfice médical et économique des innovations qui découlent d’un
dialogue efficace entre administration et industriels.
L’initiative
récente des plans industriels est un bon premier pas pour préserver et
développer ces atouts. Elle peut néanmoins être approfondie, notamment dans le
domaine de la « compétitivité marché » : le premier critère pour
développer en France une activité innovante est la capacité à pouvoir y tester,
plus vite et dans de meilleures conditions qu’ailleurs, les produits et
services innovants. Par ailleurs, une « fast track » pourrait être
créée pour permettre d’accélérer l’accès au marché des innovations offrant des
bénéfices aux patients comme aux professionnels et pouvant contribuer à la
réduction des dépenses de l’assurance maladie. Les études permettant de mesurer
le bénéfice patient, y compris dans ses dimensions d’expérience patient,
pourraient également être développées, notamment pour les équipements. Il
existe de nombreuses autres pistes pour développer des innovations favorables
aux patients comme aux comptes de la sécurité sociale. Enfin, il serait utile
que cette initiative implique plus largement les acteurs clefs que sont le
ministère de la santé, les professionnels et les caisses de sécurité sociale,
premiers bénéficiaires des innovations du domaine médical.
Confrontées
depuis longtemps et dans de nombreux pays, aux efforts de maîtrise de dépense
de santé, les entreprises du secteur de la santé n’ont jamais nié cette
nécessité. Mais la France est désormais confrontée à un choix entre la
voie de la performance, dans laquelle il faudra encore plus d’innovation pour
faire « mieux avec moins », et la voie de la paupérisation, dans
laquelle la maitrise comptable des dépenses et l’absence de mesure de la valeur
ajoutée conduira à une réduction modeste des dépenses, au prix d’une réduction
catastrophique de la qualité et de l’accès aux soins. Il est de l’intérêt de tous
– patients, professionnels et entreprises – d’éviter cette deuxième option.
Pour
la Commission Santé du Medef Paris-New York
Noëlle Biron, Becton Dickinson
Jean-Claude Durousseaud, JCD Consulting
Bruno Erhard, MSD
Charlotte
Hutin, Ethicon
Isabelle
Lavallée, Médecin
Aymeric Petetin, General Electric
Eric Thoby, Agora Expat
Catherine Raynaud, Pfizer
Vincent
Champain, General Electric et Président de la Commission Santé



[1] Institut Montparnasse, 2012
À propos

Dédié à l'analyse des questions économiques, sociales et environnementales de long terme, L'Observatoire du Long Terme se fixe pour objectif de donner davantage de visibilité à ces enjeux dans le débat public. Dans ce contexte, il donne la parole à des contributeurs variés, avec pour seul critère le caractère étayé des arguments présentés.

L'Observatoire est indépendant, ne reçoit aucune aide financière et repose sur le volontariat de ses contributeurs, de son bureau, présidé par Vincent Champain et Bruno Fuchs.

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