samedi, décembre 21, 2024

Eau : l’état d’urgence




Franck Galland, est un des meilleurs spécialistes français des questions liées à la
géopolitique de l’eau et auteur de « Le grand jeu, Chroniques géopolitiques
de l’eau » aux éditions du CNRS.



Il dresse pour l’Observatoire du Long Terme,
un bilan inquiétant des problèmes liés à la gestion de l’eau dans le monde et
nous donne ses perspectives à long terme. Entre tensions politiques et diplomatiques, conséquences environnementales et
économiques majeures, l’eau est pour lui est un élément clés des décennies qui viennent.

L’état des lieux : « Des pays vont disparaître »


« On
estimait en 1995 que 400 millions de personnes vivaient déjà sous stress
hydrique de moins de 1000 m3 d’eau par habitant par an en terme de réserve, (en
France on est à 3300). En 2030 on les estime à 4 milliards, soit 10 fois plus… D’ailleurs
une étude de l’OCDE, « Water security outlook » a bien souligné le problème.
Mais cela ne veut pas dire que c’est impossible de vivre sous stress hydrique. Israël
par exemple est un pays, désertique qui a montré par la technologie que l’on
peut avancer. Aujourd’hui 80% des eaux usées produites par Israël sont
recyclées à des fins agricoles afin de limiter la ponction sur des eaux sous-terraines
ou des eaux de surface.

La vie est possible, mais l’histoire s’accélère. Notamment dans des pays qui
manquent totalement de gouvernance par rapport à l’eau, dans des zones anarchiques.
Prenons l’exemple du Yémen et ses 200 m3 d’eau/hab/an. Les Projections à 2050,
c’est 40 m3/hab/an, si rien n’est fait. Voilà typiquement un pays qui va
disparaître à cause d’un manque d’eau.
Prenons
l’exemple de la Chine. Le Nord NE de la Chine est une zone soumise au stress
hydrique. Autour de Pékin, on est à 500 m3/hab/an mais il n’y a pas de problème
d’instabilité sociale, ou de terrorisme. Cette région regroupe 15% des réserves
en eaux chinoises, mais accueille 45% de la population… 45% de 1,34 milliard
d’habitants, c’est beaucoup à alimenter en eau domestique. Mais le vrai
problème se situe au niveau de la sécurité alimentaire. Car 80% des ressources
en eaux douces sont utilisées à des fins agricoles (15% à des fins
industrielles et 5% à des fins domestiques). Aujourd’hui la Chine manque d’eau pour
produire les aliments que les Chinois consomment. On dit qu’en occident, par
personne, il faut 3 litres d’eau pour boire, 30 litres pour se laver et 3000
litres pour produire notre nourriture au quotidien… Les Chinois, il y a encore
15 ans, avec un régime alimentaire assez végétarien étaient au niveau de
l’empreinte en eau des végétariens, 2600 l/j/hab pour faire pousser aliments.
Les Chinois, à horizon 15/20 ans, vont arriver au niveau actuel des américains,
5400 l/j/hab.

Que faire pour améliorer la situation ? « Gouvernance, choix politiques et investissements »

« Si
l’on prend l’exemple de l’Algérie que l’on disait perdue à la fin des années
90, elle est devenu, grâce aux choix politiques et à l’argent investi, avec de
bons partenariats public/privé, une grande puissance de l’eau. Certes les coûts
sont importants. Au global, l’Algérie a quand même mis 20 milliards de dollars
sur la table… (infrastructures, barrages, réseaux, dessalement,
assainissement). C’est le pays qui a investi le plus sur 10 ans avec la Chine.

Autre
exemple, l’Arabie Saoudite. Au début des années 2000 le Roi Fahd,  et son ministre des ressources en eau, ont
décidé d’investir dans le dessalement. Or pour dessaler les 6,5 millions de m3
jour dont ils avaient besoins (c’est la plus grosse capacité de dessalement au
monde), cela coûte l’équivalent de 360 000 barils de pétrole par jour. Avec
un cout moyen du baril est à 50 dollars, cela coûte quand même à gagner pour
l’Etat saoudien de 18 millions de dollars par jour. Soit 600 millions de
dollars par an. Et cela les a fait réfléchir…»

Quel serait le coût d’une action mondiale ? « Les masses globales sont vertigineuses »


« Les
domaines alimentaire, minier, papetier, sont de très grands consommateurs
d’eau. Ils se doivent maintenant de réduire leur empreinte en eau. Quand on
sait que par exemple ; que le chiffre d’affaire de l’agro alimentaire
mondial, c’est 3000 milliards de dollars par an… Ce domaine va devoir
externaliser pour traiter l’eau dont il a besoin. Dans le domaine minier, les
enjeux sont aussi colossaux. Quand on sait que 96% des projets des Big Six
miniers dans le monde sont dans des zones à stress hydrique et que pour
extraire une tonne de cuivre il faut 500 litres d’eau…Le Chili par exemple, première
réserve mondiale de cuivre (35%) n’a plus d’eau sur sa partie nord, mais il va devoir
continuer à extraire du cuivre…Il faudra alors dessaler l’eau de mer,
transporter l’eau sur des centaines de kilomètres, ça nécessite un savoir-faire
bien particulier et beaucoup de financement de projets industriels pharaoniques.»

Quel scénario à 20 25 ans ? « Si on ne fait rien, on va au désastre »


« La
communauté internationale va devoir agir en pompier et prendre ses
responsabilités. Comme les opérateurs d’ailleurs. Elle devra régler des tensions
importantes, des problèmes politiques et diplomatiques majeurs. Ce sera notamment
le cas dans la zone du Nil bleu où un barrage va entrer en opération en 2017,
en territoire éthiopien. L’Ethiopie veut enfin pouvoir profiter d’un potentiel
hydro-électrique. Or ce barrage, le 13e du monde, a un potentiel de
4500 MW et sera la plus grosse retenue d’eau douce d’Afrique. On se dirige vers
un plan Marschall contraint et forcé pour l’alimentation en eau de l’Egypte…
L’eau se planifie aujourd’hui pour dans 10 ans. L’eau est déjà un conflit
d’usage dans certains pays (priorité à l’industrie ou à l’agriculture ?)
alors dans l’avenir… Peu le savent, mais nous nous dirigeons vers un état d’urgence.


Propos
recueillis par Eric FROMENTIN
À propos

Dédié à l'analyse des questions économiques, sociales et environnementales de long terme, L'Observatoire du Long Terme se fixe pour objectif de donner davantage de visibilité à ces enjeux dans le débat public. Dans ce contexte, il donne la parole à des contributeurs variés, avec pour seul critère le caractère étayé des arguments présentés.

L'Observatoire est indépendant, ne reçoit aucune aide financière et repose sur le volontariat de ses contributeurs, de son bureau, présidé par Vincent Champain et Bruno Fuchs.

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