Par Vincent Champain, Alexis de Kouchkovsky et Isabelle Mas
Le calcul est rapide : le changement climatique pourrait amputer d’un cinquième le revenu mondial alors que limiter la hausse des températures à 2 degrés coûterait cinq fois moins. Il ne resterait donc « plus » qu’à répartir cet effort – c’est l’objet du sommet de Paris en décembre prochain. Seulement voilà : les clefs de cette répartition sont sujettes à débat. Faut-il prendre en compte les émissions présentes, passées ou futures des pays ? Tenir compte des coûts du changement climatique pour chacun ? Et en ce cas faut-il aider les pays les plus pauvres à faire face à leurs engagements et comment ?
Trouver un consensus sur ces questions mettra des années. Pour éviter le surplace, il faudra privilégier les « décisions sans regret » qui permettent d’avancer à coût nul. Simultanément, il faut stimuler la capacité d’innovation grâce à laquelle le coût du changement climatique pourra être réduit et le consensus mondial facilité. C’est sur ces enjeux que s’est penché le rapport « Transition Through Innovation » (1), de l’Observatoire du Long Terme et CVA, remis au GIEC et à la présidence COP21.
La première conviction du rapport est que le coût de la transition climatique peut être largement inférieur aux estimations en stimulant la création et le développement des « innovations vertes abordables » (IVA), qui réduisent les émissions à faible coût par tonne de CO2 évité. Car si les responsables politiques mettent régulièrement en avant « des grands projets » nécessaires pour atteindre les objectifs de réduction d’émissions, le rapport rappelle le rôle complémentaire des « petits pas » : ces petites innovations dont le coût est faible, et dont la somme des contributions peut être conséquente. Il présente une quarantaine d’IVA : une moto électrique, des technologies de capture de CO2, des vitres électrochimiques, des panneaux solaires anti-sable adaptés au désert, des centrales à charbon moins polluantes…
En analysant les causes de blocage de dizaines d’IVA, le rapport démontre que nous sommes loin de nous donner les moyens nécessaires. L’innovation s’essouffle : la part des brevets relatifs aux technologies climatiques recule, les investissements privés ralentissent et la part du public diminue. Plus grave, de nombreuses mesures stimulant l’innovation sans coût peinent à être adoptées, telles que la fixation d’une « valeur de référence carbone » mondiale. Soyons clairs : il ne s’agit pas de mettre en place un « prix du carbone » (par une taxe ou des droits d’émission) mais juste d’atteindre un consensus scientifique et politique sur ce que « coûte » la tonne de CO2.
Le rôle de « catalyseur d’innovation » des infrastructures est sous-valorisé. Par exemple, les solutions de gestion intelligente de la demande électrique optimisent la production en lissant la consommation aux heures de pointe. Sans affaiblir les objectifs de fiabilité et de coût, le mandat donné aux régulateurs des réseaux pourrait s’élargir à la maximisation du potentiel d’innovation. Dernier exemple : le secteur public décide souvent au moins indirectement des grands investissements, notamment dans le domaine de l’énergie. Il ne coûterait rien de généraliser les appels d’offres basés sur un « coût total de possession » incluant l’achat, l’entretien, le carburant et la valorisation du carbone au prix de référence.
En conclusion, nos stratégies climatiques basées sur de grands objectifs et de grands plans ne sont qu’à moitié adaptées. Il serait utile et peu coûteux de les compléter en donnant des signaux économiques clairs stimulant le développement des innovations vertes abordables. Toutes n’existent pas encore mais ce sont elles qui réduiront un coût de la transition climatique actuellement estimé à partir des seules technologies existantes. Paradoxalement, nos politiques de développement durable font donc insuffisamment le pari du long terme !
(1) 1) Rapport disponible sur http://report.ttialliance.org