Le paradoxe est connu : les micro-économistes voient la multiplication de technologies prometteuses (intelligence artificielle, robotique, nanotechnologies, génomique, Internet des objets, impression 3D…), alors que les macroéconomistes prédisent un ralentissement « séculaire » de la croissance. Mais il n’est pas étonnant que ces derniers n’observent rien sur leur radar : la croissance qui s’annonce n’est pas liée à des causes macroéconomiques (baisse des taux d’intérêt, croissance des émergents,…), elle est liée à la technologie.
On confond souvent le rôle de la science (qui permet de comprendre un phénomène physique, tel le caractère semi-conducteur du silicium) et celui de la technologie (qui permet de mettre cette compréhension au service d’une finalité, par exemple réaliser un transistor avec du silicium). La croissance vient du progrès technologique, pas de la science. Elle intervient lorsque la technologie arrive à maturité, à un niveau de coût et de simplicité tel qu’un grand nombre d’innovateurs utilisent ces « briques technologiques » dans leurs projets. Ainsi Internet, né scientifiquement dans les années 1960, a attendu les années 1990 pour atteindre cette maturité, lorsque les sites Internet sont devenus simples à utiliser et à concevoir.
L’industrie du logiciel est en train de vivre deux révolutions. D’abord la baisse du prix des capteurs, de la capacité de calcul, de stockage ou de transmission des données. Un « système sur puce » gros comme un ongle traitant 160 millions d’opérations par seconde, doté du wi-fi et de capteurs, coûte 2 euros. Stocker 1 gigaoctet coûte 2 centimes par mois. Pour quelques euros, on peut numériser odeurs ou vibrations. La « donnée industrielle » devient donc plus abondante et moins coûteuse, ce qui augmente le besoin de logiciels pour la traiter.
La façon de développer un logiciel a aussi évolué. Il y a trente ans, cela consistait à dicter des tâches à un ordinateur, en réécrivant chaque fois une partie du code. De plus en plus, il s’agit d’un jeu d’assemblage, à partir de composantes logicielles. On peut donc se focaliser sur ce qui a une valeur ajoutée : assembler des composantes logicielles existantes pour répondre à un besoin et ne développer que celles qui n’existent pas. Avec le cloud, on peut bénéficier immédiatement, sur des milliers de machines connectées partout dans le monde, des effets d’une amélioration.
Rendre les machines plus efficaces sera plus simple et moins cher, ce qui accélérera la productivité. Ces opportunités sont sous-estimées, car elles concernent l’Internet industriel, peu médiatisé, dont le potentiel estimé est plus de deux fois supérieur à l’Internet grand public. Or le logiciel est partout : l’efficacité des moteurs électriques sans balais (« brushless ») repose sur le système de contrôle et les drones se différencient par leur logiciel embarqué et leur connexion à des systèmes complexes. Des évolutions déjà bien engagées dans l’aviation, où le pilotage relève du travail de chef d’orchestre d’un grand nombre de systèmes numériques, vont se développer progressivement ailleurs.
Pour en tirer parti, il faut d’abord une bonne connaissance de ces données : elles sont généralement sous-utilisées, et souvent cachées. Par exemple, des données sur l’intensité du courant traversant un moteur permettant d’estimer la résistance au mouvement : pas besoin de capteurs pour cela. Il faut ensuite déterminer comment tirer des informations utiles de ces données – le Big Data, c’est trouver « une aiguille d’information dans une botte de données ». On se ruinera à explorer cette botte sans méthode. Enfin, il faut maîtriser ses coûts et délais informatiques, en se focalisant sur ce que l’on fera mieux que les autres et en utilisant les services d’une plate-forme existante pour le reste : une stratégie gagnante consiste précisément à se concentrer sur ses avantages compétitifs. Et plus elles sont dans un secteur compétitif, moins les entreprises peuvent se permettre d’ignorer les gains de productivité qui sont ainsi à leur portée.
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Vincent Champain et Thomas Landpurg