La France peut-elle être leader de l’innovation en santé ?

Par JB Fantun pour l’OLT. Paru dans Paris Innovation Review.

L’écosystème français est favorable à l’émergence d’entreprises innovantes dans le secteur de la santé. En revanche, nous avons encore du mal à transformer les jeunes pousses en entreprises d’envergure internationale. Les raisons sont multiples et nécessitent une volonté politique forte si nous voulons rester attractifs pour ce secteur d’avenir que constitue la HealthTech.

On peut distinguer trois types d’acteurs de l’innovation en santé :

1 – Les sociétés qui conçoivent et développent des médicaments. Abivax, qui a annoncé fin septembre des essais positifs pour sa nouvelle molécule utilisée dans un traitement par voie orale du VIH, est une des pépites de ce secteur.

2 – Celles qui développent des dispositifs médicaux. Mauna Kea Technologies, par exemple, développe un système d’endomicroscopie permettant de réaliser des « biopsies optiques » : au lieu de réaliser un prélèvement puis de l’examiner, on réalise directement l’examen microscopique à l’intérieur du patient.

3 – De nouveaux acteurs intervenant dans la e-santé ou analysant les données médicales avec des méthodes adaptées au Big Data et souvent issues de l’Intelligence Artificielle. OpenHealth a ainsi réalisé ce dernier mois une levée de fonds de 5 millions d’euros pour proposer une plateforme d’analyse des données médicales.

Pour compléter ce tableau, on peut également noter l’apparition de communautés et de lieux dédiés à l’innovation ouverte en matière biologique, tels que la Paillasse, le plus grand « biomakerlab » d’Europe.

Médicaments ou dispositifs médicaux : des cycles de développement différents
Le cycle de développement des produits compte plusieurs phases successives : la conception du produit, les essais cliniques et accords règlementaires, le développement commercial en France et à l’international.

Pour les sociétés développant des médicaments, ce cycle est souvent long, parfois 20 ans au total pour une biotech mais en cas de succès les valorisations sont importantes. DBV Technologies développe depuis 2002 une méthode d’immunothérapie utilisant la voie épicutanée pour traiter les allergies; ses produits ne sont pas encore sur le marché et sa valorisation boursière est de 1,6 milliards d’euros !

Côté dispositifs médicaux, les cycles de développement sont plus courts. Theraclion développe depuis 2004 un robot permettant de traiter par ultrasons focalisés les tumeurs bénignes du sein et de la thyroïde, avec comme horizon les cancers des mêmes régions anatomiques ; son dispositif Echopulse est commercialisé depuis quelques années et la valorisation boursière de Theraclion est actuellement de 35 millions d’euros.

En revanche, les startups spécialisées dans l’analyse des données médicales ont un cycle de développement proche de celui des entreprises du digital, donc beaucoup plus court que celui des sociétés précédentes. Therapixel, par exemple, a été créée en 2013 et après s’être intéressée à l’imagerie médicale elle a pris en 2016 le virage de l’intelligence artificielle ; elle a remporté récemment de beaux succès dans des challenges américains sur la reconnaissance automatique (par deep learning) de tumeurs cancéreuses du sein et du poumon.

Des dispositifs favorables pendant la phase de conception
Depuis plusieurs années, une palette de dispositifs ont été mis en place pour rendre l’écosystème français propice à la création des startups. Le statut de Jeune Entreprise Innovante, combiné au Crédit Impôt Recherche sont des outils puissants. Par ailleurs, la Banque publique d’investissement met à disposition des startups une multiplicité de fonds d’amorçage qui permettent un financement conséquent des premières phases de développement. Les résultats sont globalement satisfaisants : la France est n°2 en Europe en termes de créations de startups de santé, derrière l’Allemagne.

Notons néanmoins que la force de ces dispositifs contraste parfois avec la faiblesse des moyens disponibles aux phases ultérieures. Car se positionner sur le marché américain, par exemple, nécessite des moyens importants pour, par exemple, s’entourer de Key Opinion Leaders, lancer des essais cliniques, recruter des consultants pour négocier avec la Food and Drug Administration (FDA), des cabinets d’avocats, etc. Or le capital-risque est encore insuffisant en France : rapporté au PIB, son poids est quatre fois inférieur à celui aux Etats-Unis et en Chine. Dans cette situation, les healthtechs françaises n’ont d’autres solutions que d’entrer sur le marché boursier ou de se vendre à l’étranger. Il n’y aucun mal à ce type de partenariats, mais s’ils ont toujours lieu dans le même sens, ils contribueront à pousser les centres de décision hors de notre pays.

Le point noir : les essais cliniques
Les essais cliniques sont une étape primordiale dans le développement d’un médicament ou d’un dispositif médical puisque de leur succès dépend la confirmation de leurs bénéfices en termes de santé ainsi que l’absence de risques.

Le plus naturel pour une entreprise française serait d’effectuer ces essais prioritairement en France où elle connaît mieux les médecins dont certains ont souvent déjà participé à la phase de développement du produit. Pourtant à peine 20% des essais diligentés par des entreprises françaises sont effectués en France. Il en est de même pour les entreprises internationales présentes en France : pour certains essais, les inclusions de patients sont clôturées dans les autres filiales européennes et l’essai fini, avant même de commencer en France ! C’est une perte pour la recherche médicale française et un manque à gagner de plusieurs milliards par an pour les établissements de santé (qui perdent les financements liés à ces essais).

Plusieurs facteurs expliquent cela. Le premier : l’application excessive du principe de précaution au détriment du principe d’innovation. Par ailleurs, les processus administratifs encadrant les essais cliniques sont largement inefficaces. Le décret d’application (novembre 2016) relatif à la loi Jardé (mars 2012) a voulu prévenir les risques de conflit d’intérêt : quand un projet d’étude clinique est proposé à l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament, le dossier doit être étudié par un Comité de Protection des Personnes (CPP) tiré au sort parmi l’ensemble des CPP. Maryvonne Hiance, Présidente de France BioTech, précise : « le problème est que ces CPP ont des champs de compétences précis et il est arrivé qu’un CPP spécialisé dans l’orthopédie soit tiré au sort pour analyser une étude d’oncologie ! On procède à un nouveau tirage au sort mais la procédure est ainsi faite que le nouveau tirage au sort soit réalisé…4 mois plus tard ! ».

Enfin, le système français est complexe, notamment du fait du nombre de ses acteurs (professionnels de santé / hôpital / agence régionale de santé / directions multiples du ministère de la santé / autorités indépendantes / caisse d’assurance maladie). Aux Etats-Unis, une innovation sera rapidement adoptée par un « HMO » qui cumule une grande partie de ces fonctions, si les bénéfices en termes de santé ou de réduction des coûts sont suffisants.

L’accès au marché national: le tunnel de la medtech française
Une fois un médicament innovant développé et validé par des essais cliniques, l’ANSM peut délivrer une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) pour un médicament innovant en l’absence d’alternative thérapeutique, préalable à l’autorisation de mise sur le marché (AMM).

Pour les dispositifs médicaux, les entreprises peuvent soumettre à l’administration une demande de Forfait Innovation qui, en cas d’acceptation, autorise un remboursement dérogatoire limité à quelques centres choisis pour une étude clinique, pour un acte médical innovant (utilisant le dispositif médical innovant), ce financement devant permettre à l’entreprise de réaliser une étude médico-économique validant le dispositif médical développé. Les dossiers de Forfait Innovation sont instruits par la Haute Autorité de Santé (HAS) et le ministère de la Santé, avec des délais qui peuvent, en pratique, s’allonger. « Theraclion, s’est ainsi risquée dans l’aventure qui a finalement duré… un an et demi au lieu de trois mois », constate avec résignation son DG David Caumartin.

Sacha Loiseau, fondateur de Mauna Kea Technologies, résume cruellement : « je récuse le terme de parcours du combattant quand on parle des process administratifs dans le domaine de la santé car un parcours du combattant est parfaitement balisé, on en connaît les différentes étapes avant de commencer ; en France il s’agit plutôt d’un tunnel dans lequel on s’engouffre sans trop savoir où cela va nous mener… »

Que faire ?
Certains des freins du système français (essais cliniques, procédures d’accès au marché) peuvent être levés à court terme, à condition d’accepter de regarder sans complaisance nos faiblesses par rapport aux meilleures pratiques dans le monde. À titre d’exemple, les procédures mises en place par la FDA pour l’accès au marché américain sont beaucoup plus rodées qu’en France grâce à l’existence d’un interlocuteur unique qui décide du pool d’experts et réduit le nombre de réunions.

Nous n’avons pas pris la pleine mesure du fait que la compétition n’est plus entre laboratoires français ou européens, mais qu’elle est devenue une course contre la montre mondiale.
Il faut également travailler sur l’image des biotechs et medtechs françaises, et notamment aller au-delà de la mise en valeur des startups sympathiques, en oubliant le reste du chemin pour devenir des champions mondiaux. Au sein des grands organismes publics, l’industrie de santé est parfois vue avec méfiance. Le premier pas serait de clarifier le rôle du « ministère de l’Industrie de la Santé », qui n’est assumé ni par le ministère de la Santé, ni celui de l’Industrie, partage de meilleures pratiques européennes (les pays du Nord ont un rapport plus sain à l’entreprise évitant autant les excès de louanges que les excès d’indignité).

Le dernier point, qui n’est pas propre à la santé, est celui de l’échelle européenne. Nous n’avons pas pris la pleine mesure du fait que la compétition n’est plus entre laboratoires français ou européens, mais qu’elle est devenue une course contre la montre mondiale. Si le marché unique européen est une réalité dans bien des domaines, il existe encore peu d’entreprises véritablement européennes, y compris parmi les très grands groupes : il suffit de compter les nationalités présentes dans les grandes entreprises de chaque pays pour s’en convaincre. C’est encore davantage le cas pour les startups, qui partent souvent d’une équipe liée à un pays. Alors que la vraie compétition est mondiale, il serait également urgent de mieux unir les forces au niveau européen, et même en France ou l’on compte de multiples pôles de compétitivité, et deux fédérations, certes dynamiques, (France Biotech et MedTech In France).

Or beaucoup des initiatives d’accompagnement sont liées à la France pour des raisons techniques (les administrations qui les réalisent sont purement françaises) ou politiques (le « small in France » est plus porteur que le « big in Europe »). Or ce qui est adapté pour accompagner sur son premier contrat à l’export une PME artisanale ne l’est pas pour une healthtech lancée dans la course à la taille critique face à des géants américains ou asiatiques.

À propos

Dédié à l'analyse des questions économiques, sociales et environnementales de long terme, L'Observatoire du Long Terme se fixe pour objectif de donner davantage de visibilité à ces enjeux dans le débat public. Dans ce contexte, il donne la parole à des contributeurs variés, avec pour seul critère le caractère étayé des arguments présentés.

L'Observatoire est indépendant, ne reçoit aucune aide financière et repose sur le volontariat de ses contributeurs, de son bureau, présidé par Vincent Champain et Bruno Fuchs.

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