Publié dans l’Usine Nouvelle
Durant la campagne qui s’annonce, candidats et commentateurs vont présenter leur stratégie industrielle pour la France. Mais au fond qu’est-ce qu’une stratégie industrielle, et quels sont les critères permettant à chacun de se faire son avis sur son réalisme ?
1) Préciser le comment, le qui, le quoi et le pourquoi
Une stratégie est une façon (comment) de coordonner les actions d’acteurs publics ou non publics (qui) pour atteindre un but (quoi) servant une vision (pourquoi). Une stratégie publique doit le faire dans un but qui augmente l’intérêt général des français (PIB, qualité de vie, élimination de nuisances, réduction des émissions de gaz à effet de serre …).
Ce premier critère élimine les stratégies qui se limitent à l’affirmation d’un objectif sans lien évident avec l’intérêt général – par exemple fixer un nombre d’entreprises créées, sans considération de la valeur ajoutée des emplois créés ou de leur caractère durable – ou qui ne sont que l’émanation du souhait d’un secteur – par exemple, faire de la France un leader dans le domaine X, sans qu’il soit prouvé (cf points suivants) que cet objectif soit prioritaire pour l’intérêt général.
Il élimine aussi les stratégies vagues sur la mise en œuvre ou peu claires sur la façon dont les mesures proposées assureront l’atteinte de l’objectif – on se souvient de la stratégie de Lisbonne qui visait à faire de l’Europe la zone économique la plus compétitive en 2010, et de la déconnection des actions (pertinentes pour beaucoup, mais ni suffisantes, ni explicites dans leur mise en œuvre) qui l’accompagnaient. Avec le résultat que l’on sait, malgré des avancées dans certains domaines.
2) Reposer sur un diagnostic factuel et ancré dans le réel
Il est difficile de conduire un changement de grande ampleur et de convaincre largement sur la base de faits partiels ou erronés – anecdotiques ou au contraire trop macro-économiques et vrais en moyenne mais faux tout le temps. Malheureusement, une campagne tient rarement d’un exercice d’analyse ou de confrontation entre économistes, praticiens ou experts et plus souvent plus d’un exercice de réaction à des demandes ou des sentiments – avec le risque de préparer des lendemains difficiles dans lesquels les actions proposées seront confrontées à la réalité et sa diversité.
Un test important pour une stratégie publique tient donc à la question du diagnostic – plus les faits sont précis, plus le diagnostic a fait l’objet d’un partage et d’une confrontation des statistiques au vécu des acteurs concernés, plus elle a de chances de viser les causes réelles et d’obtenir un effet.
3) Etre efficace dans sa mise en œuvre
Les ressources publiques étant limitées, une stratégie doit être efficace dans sa mise en œuvre : créer un avantage compétitif pour la France n’a d’intérêt que si cela se fait à un coût tel que la France bénéficie de cet investissement sous la forme d’un retour supérieur au coût.
Ce critère doit conduire à fortement questionner les stratégies qui chercheront à atteindre un objectif pertinent par des voies peu efficaces – par exemple lutter contre le niveau de prélèvement en les baissant les cotisations sans réduire les coûts : les contribuables d’aujourd’hui seront gagnant, mais au prix d’un coût augmenté des intérêts pour les contribuables futurs, avec à la clef un effet négatif sur l’intérêt général.
Enfin, la plupart des industries évoluent sur des marchés mondiaux. Une stratégie industrielle robuste doit en tenir compte. Ainsi, l’échelle Européenne s’impose sur beaucoup de marchés – avec la difficulté que la notion de stratégie industrielle varie fortement d’un pays à l’autre, les pays du nord ayant une réticence forte à intervenir dans les décisions d’entreprise.
4) Etre bâti autour de la notion d’avantage compétitif
La prospérité d’une entreprise, comme celle d’une nation, ne se fait pas en faisant tout mais au contraire en se concentrant sur ce qu’elle sait relativement mieux faire que les autres : les français s’enrichissent en développant le secteur du luxe tout en important les produits d’horlogerie de Suisse, plutôt que le contraire.
Beaucoup de propositions de stratégie industrielle décrètent l’objectif de relocaliser un secteur sans répondre à une question essentielle : pouvons-nous, aujourd’hui ou demain, avoir un réel avantage compétitif dans le domaine concerné ? C’est particulièrement vrai des propositions émanant de lobbies – c’est même logique, car leur objectif n’est pas le bien-être pour tous les français, mais les retombées pour leurs membres.
Il existe des domaines dans lesquels la France dispose d’une position en termes de savoir faire qui lui assurent de tels avantages (luxe, aéronautique, nucléaire, automobile,…) mais l’analyse doit être poussée au niveau du détail : nous avons beau avoir une position forte dans le luxe, ce n’est pas le cas de tous les produits chimiques qui entrent dans leur composition. De la même façon, la question de souveraineté numérique doit être précisée. Veut-on être souverain dans les microprocesseurs ? Dans le stockage de données ou la mise à disposition de puissance de calcul (ce qu’OVH sait faire de façon compétitive) ? Dans la réalisation d’API ou de plateforme de développement généraliste (ce pourquoi les GAFA disposent de solutions très compétitives, sur lesquelles elles investissent des milliards par an) ou de solutions ciblées (pour l’industrie, la santé, la sécurité, le marketing analytique…) dans des domaines où la France dispose d’une avance ?
La encore, rien n’empêche d’être ambitieux et de viser des investissements massifs dans des domaines où l’on veut consolider un avantage. Mais si cet effort n’est pas ciblé, il ne sera pas crédible face à une concurrence mondiale ou les investissements se comptent en dizaine de milliards. Une stratégie, c’est aussi « l’art de dire non » – choisir un nombre limité de combats qu’on peut réellement gagner. Et c’est bien cela qui rend l’exercice difficile dans une campagne, qui repose davantage sur l’art de dire « oui » à chacun.
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