Publié le 17/2/2022 sur Telos
Le non-emploi : une
mesure extensive et peu manipulable de la sous-activité
Le taux chômage que l’on
a coutume de commenter à chaque publication est une mesure très restrictive du
nombre de personnes sans emploi : elle ne compte que ceux qui effectuent
suffisamment d’actes de recherche d’emploi et sont immédiatement disponibles (ni
malades, ni en stage) quel que soit le contrat proposé. Cette mesure ignore les
chômeurs en longue maladie, découragés, radiés ou voulant un CDD ou un CDI à
temps partiel.
Si l’on veut mesurer et
comparer la capacité d’un pays à employer ses ressources humaines, ce n’est pas
au chômage qu’il faut s’intéresser. C’est au « non emploi » – c’est-à-dire
le nombre de personnes en âge de travailler n’ayant pas d’emploi, quelle qu’en
soit la cause. Certes, le non-emploi ne sera jamais égal à zéro : il est normal
qu’une personne malade puisse ne pas travailler, et nécessaire que des jeunes
étudient. Mais si cet investissement dans l’éducation n’a pas pour contre
partie une réduction du taux de non emploi aux âges plus élevés, il faut se
questionner sur l’efficacité de cet investissement. Par ailleurs, le non-emploi
se prête difficilement aux manipulations « cosmétiques » consistant à
passer les demandeurs d’une catégorie à l’autre, les décourager de rechercher
un emploi, à les radier ou les mettre en « stage parking ». Il permet
aussi de comparer des pays de même niveau de développement (qui n’imposent pas
le travail aux enfants ni ne poussent des salariés inaptes au travail).
La France est plus mal
classée sur le non-emploi que sur le chômage
Fin 2021, il y avait en France 13,7 millions de personnes entre 15 et 64
ans sans emploi, avec une difficulté persistante à employer les jeunes ou les
seniors (67% de non emploi chez les 15-24 ans, 18 chez les 25-54 et 44 chez les
55-64 ans). D’autres pays font bien mieux que nous : si nous avions les
taux de non emploi de la Suède, nous aurions 2,8 millions d’emplois en plus (à
comparer aux 3,1 millions de chômeurs en catégorie A).
S’agissant de
l’évolution du non emploi par rapport aux principaux pays comparables, notons
d’abord que la comparaison depuis 2020 est difficile, dans la mesure où les
mesures d’accompagnement de la crise Covid ont été différentes d’un pays à
l’autre – en France, l’utilisation massive du chômage partiel et les prêts
garantis ont probablement permis de limiter l’effet sur le non emploi par
rapport à nos partenaires. Il faudra attendre la fin de la crise Covid pour
savoir si cet effet est pérenne, et dans quelle mesure les pays qui n’ont pas
eu ce type d’amortisseur rebondissent une fois la crise Covid passée.
On peut cependant noter
une petite inflexion du taux de non emploi sur les 25-54 ans à partir de 2017. Elle
s’est poursuivie depuis, sans accélération par rapport aux baisses également
constatées dans les pays comparables. Pour les jeunes, on ne constate en
revanche pas d’inflexion hormis en 2021 (mais elle devra être analysée une fois
les mesures Covid passées), et la tendance pour les seniors marque plutôt une
décélération de la baisse du non emploi.
Comment combattre le non
emploi ?
Certaines des causes de la mauvaise
performance française sont anciennes. La première de ces causes, c’est de nous être
focalisé sur le chômage, plutôt que sur le non-emploi. De cette focalisation découlent
beaucoup des mauvaises solutions apportées au problème : préretraites, stages
« parking », formations sans débouchés, emplois aidés ne menant pas à
un emploi marchand, allongement de la scolarité déconnecté de tout souci
d’employabilité, radiation des chômeurs, dispense de recherche d’emplois[1]…
Cette focalisation sur le chômage, qui est
soulignée depuis des années notamment par les rapports de l’OCDE, continue de
nous cacher à la fois l’ampleur du mal (par rapport à la Suède, le chômage ne
mesure qu’un tiers du sous-emploi français) et la nature des modèles pertinents
(le modèle américain n’est pas beaucoup plus performant que le nôtre)
A l’inverse, une
politique ciblée sur le taux de non-emploi nous conduirait à plus d’efficacité
pour accélérer le retour à l’emploi des demandeurs, par exemple en renforçant
les services d’orientation et d’accompagnement (qui restent très insuffisants
en France), et à nous intéresser davantage aux catégories, pourtant bien
connues, sur lesquelles la France réalise l’essentiel de sa
sous-performance : les jeunes et les seniors.
[1]
Le lecteur intéressé par ces sujets pourra notamment consulter les rapports de
l’OCDE sur la France (perspectives économiques ou perspectives de l’emploi).