Le dernier rapport du GIEC confirme le consensus scientifique sur le changement climatique et la nécessité à agir, mais il n’a trouvé qu’un écho fugace en France. Une fois de plus l’actualité de court terme l’a emporté sur les enjeux de long terme : comment éviter à nos enfants 6 degrés de plus d’ici 2100, avec des conséquences graves et irréversibles. C’est sans doute là le premier manque de la transition énergétique : avant d’être engagés dans des choix lourds, les français ont droit de comprendre clairement pourquoi il faut agir, et les différentes options possibles. Quels sont les risques liés à chaque forme d’énergie ? Que sait-on, et que ne sait-on pas sur les enjeux climatiques et les innovations pour y répondre ?
Le second enjeu de la transition est changer notre consommation énergétique, avec le choix entre deux voies : soit par des mécanismes de marché, soit par une intervention publique. Pour que la première option fonctionne, il est nécessaire de donner un juste prix aux principales priorités des français. Faute de quoi les objectifs ayant un prix balayeront ceux qui n’en ont pas – par exemple, le climat sera perdant si le CO2 est bon marché, il y aura des black-out si la continuité d’approvisionnement n’a pas de valeur, et une surmortalité liée aux particules fines si les risques énergétiques sont mal pondérés. Or sur ces quatre enjeux de la transition (le prix du kwh, l’impact sur le climat, la disponibilité de l’énergie et les risques), le premier est abordé d’une façon très partiellement économique : à émissions de CO2 constantes, le surcoût aurait pu être moitié moins cher avec une meilleure priorisation des énergies renouvelables. Développer les renouvelables tout en maitrisant les prix n’a donc rien d’impossible si l’on priorise mieux. S’agissant de la continuité électrique, les futur marché de capacité lui donneront un prix, mais limité propre à chaque pays malgré les interdépendances européennes. L’enjeu climatique est valorisé par un marché des droits d’émission ; ses hypothèses dépassées conduisent à un prix très inférieur au « juste[1] » prix de 30 €/tonne, ce qui ralentit les investissements dans les technologies moins émettrices de CO2. L’enjeu en termes de risque est enfin à rationalité variable : sans réelle étude, certaines énergies sont proscrites (gaz de schiste) et d’autres limitées (nucléaire) ce qui laisse augmenter le charbon, le plus néfaste pour la santé publique. Sait-on que le charbon (qui a progressé en 2013 de plus de 30 % en France) entraîne 28 décès par TWh, 10 fois plus que le gaz, et 400 fois plus que le nucléaire[2] ?
Face aux échecs constatés et au nombre croissant de corrections à apporter aux marchés, des voix plaident pour plus d’intervention de l’Etat. C’est en partie ce que fait, avec raison, le Royaume-Uni en imposant un prix plancher au carbone grâce à une taxe ou en protégeant par un prix fixe les opérateurs de nouvelles tranches nucléaires des aléas de marché. Faut-il dès lors sortir totalement d’une logique de marché ? Pas si sûr. Car le marché reste la meilleure solution pour susciter les multiples innovations qui nous permettront d’adoucir cette transition. Par exemple, une production énergétique plus efficace, la réfrigération magnétique, le véhicule électrique ou à gaz, les solutions de stockage ou les réseaux intelligents. Pour concilier les 4 enjeux de la transition, nous aurons en effet besoin de solutions inconnues aujourd’hui et qui ne pourront apparaître qu’en laissant une large part à l’initiative. Pour cela, il ne faudra pas moins de marché, mais quatre fois plus. C’est en effet en fixant des prix justes et transparents pour le kwh, la capacité, le CO2 et le risque, que nous saurons trouver les solutions qui concilient le mieux ces quatre objectifs. C’est aussi une condition de convergence européenne entre des pays séparés par des modèles de transition énergétique différents, mais connectés par un même marché.
Vincent Champain et le pôle énergie de l’Observatoire du Long Terme (https://longterme.org)
[1] Rapport Quinet
[2] Hors déchets, cf « Electricity generation and health », The Lancet, 2007.