Publié dans l’Opinion, le 30 septembre 2021
Les débats sur la crise sanitaire, le climat ou l’économie sont marqués par l’idée que nous souffrons d’un excès de rationalité, dont seuls pourraient nous libérer des esprits capables de faire passer nos désirs avant les contraintes du réel.
Pourtant, dans le domaine sanitaire, c’est la science qui a permis de développer des vaccins efficaces dans des délais inimaginables il y a un an, de connaître les populations aux risques les plus élevés, et la façon de réduire ces risques. Est-ce un excès de rationalité de réaliser l’expérimentation du concert d’Indochine (5000 spectateurs dans une même salle dans le respect du passe sanitaire et du port du masque, aucune contamination nette) ou aurait-il fallu multiplier bien plus tôt ce genre d’étude ?
Le climat est un enjeu important, mais malheureusement pour les militants de la première heure, avoir parlé d’un problème avant tout le monde ne fait pas un expert des solutions pour répondre à ce défi. Or, s’ils sont réalisés de façon efficace, les efforts pour réduire les gaz à effet de serre coûteront 10% de la richesse produite chaque année dans le monde, et les pays riches en prendront une part qui dépassera largement la moyenne. Par ailleurs, notre richesse par tête progressera de 60% d’ici 2060. Si le défi climatique est traité de façon inefficace, son coût consommera la majorité de nos gains de pouvoir d’achat, ce qui imposera des sacrifices considérables – envisageables pour un cadre urbain, mais très douloureux pour des familles rurales qui peinent déjà à financer leurs dépenses de santé, de logement ou de mobilité. Avec à la clef un rejet auquel les politiques climatiques ne résisteront pas. Or ce risque de l’inefficacité est déjà présent : le coût des dépenses de soutien aux énergies renouvelables est déjà le double de celui que l’on aurait atteint en nous limitant aux solutions ayant le coût par tonne de CO2 le plus bas. Et en faisant payer le prix de l’intermittence des renouvelables aux énergies qui n’en génèrent pas, nous générons de coûteuses inefficacités.
En matière de politique économique, est-ce être trop rationnel de rappeler que le coût d’une dette se juge sur sa durée de vie? Un ménage ou un Etat ne doivent pas être leurré par un taux d’intérêt réduit les premières années pour une dette qui dure des décennies. Si les taux atteignent 5%, avec une dette qui atteindra 140% du PIB, la charge brute pour la France sera d’un montant équivalent aux dommages de guerre imposés à l’Allemagne après la seconde guerre. Même la moitié de ce niveau imposera des sacrifices importants qu’il est un devoir d’anticiper. Sur le pouvoir d’achat, les promesses se multiplieront dans les mois qui viennent pour “donner” du pouvoir d’achat par des mesures fiscales. Ce qui revient à faire des cadeaux aux français avec leur propre argent : toujours agréable, sans effet sur pouvoir d’achat moyen. A l’inverse, deux types de politiques sont sous-estimées : la chasse aux rentes (autoriser un quatrième opérateur mobile a permis de distribuer des milliards de pouvoir d’achat aux ménages aux frais des actionnaires des opérateurs en place) et les projets d’infrastructure (le programme nucléaire français a permis de réduire significativement la facture des ménages et des entreprises par rapport à celle de nos voisins).
Le Faust de Goethe exprimait déjà une frustration face aux contraintes de la méthode scientifique, qui n’est ni nouvelle, ni propre à la France. Mais elle nous touche plus fort que le pays de Goethe et nous fait prendre un retard croissant dans le domaine scientifique – en matière scolaire, d’attractivité des carrières, de publications ou d’applications. Il sera difficile d’augmenter les moyens de la recherche scientifique si elle est mise sur le même plan que la recherche sur internet d’un expert de plateau de télévision. Nous ne pourrons pas concentrer nos moyens si, au nom de la pluralité scientifique, il faut les disperser de la physique fondamentale à la théorie du genre dans la cuisine française. Ce n’est donc pas l’excès de rationalité qui nous menace, mais bien l’inverse.
Vincent Champain est cadre dirigeant et président de l’Observatoire du Long terme, think tank dédié aux enjeux de long terme.