Il y a quelques années, les émissions de CO2 n’étaient pas encadrées. Et, de fait, interdire purement et simplement les émissions de CO2 serait difficile car chacun en produit en respirant ! La voie la plus réaliste consiste donc à se concentrer sur les usages les plus importants ou pouvant être régulés (industrie, hydrocarbures,…) et les techniques permettant d’absorber le CO2 (la reforestation ou la capture et séquestration du carbone, qui consiste à absorber le CO2 produit par certaines industries pour éviter qu’ils ne soit émis dans l’atmosphère), en cherchant des mécanismes qui incitent chacun à produire moins de CO2 ou à compenser ses émissions de CO2, tout en évitant des effets trop négatifs du point de vue économique. Par ailleurs, les conséquences des émissions de CO2 sur le climat étant globales, tout effort porté dans un pays mais pas dans le reste du monde aurait pour seul effet de déplacer une partie des industries émettrices de CO2 (et les emplois qui vont avec) vers les pays les plus laxistes?
Consciente du problème, l’Europe a été la première à se doter d’un système visant à réduire les émissions, l’ETS (Emission Trading System). Ce système est relativement complexe, car il vise à concilier deux objectifs contraires : donner des incitations aux gros émetteurs de CO2 à réduire leurs émissions, en évitant que cette contrainte ne soit ingérable du point de vue économique. Ce système couvre plus de 10.000 sites industriels, et définit pour l’ensemble de ces sites un objectif (décroissant) d’émissions de CO2. Chaque site reçoit des permis d’émission, et ceux qui dépassent les émissions prévues doivent acheter des permis, ceux qui émettent moins que prévu peuvent céder leur permis. La cible d’émissions étant ajustée au cours du temps, ce système permet donc de pousser les sites concernés à réduire leur émissions, tout en « minimisant la douleur » : cette réduction sera en effet concentrée sur les sites qui peuvent réduire à moindre coût (qui céderont leurs permis à ceux pour lesquels ces coûts seraient prohibitifs). Ce marché permet également de faire apparaître un « prix du carbone » (celui des permis d’émission) qui donne une valeur de repère pour ceux qui veulent inventer des techniques de réduction du CO2 et les proposer aux industriels.
La crise est cependant venu perturber ce système, puisque l’activité industrielle s’est fortement réduite, ce qui permet de remplir les objectifs d’émission avec moins d’efforts que prévu. Celà se traduit sur les prix du CO2, qui sont tombés à 4€ la tonne. A titre de comparaison une étude menée par Alain Quinet sur ce sujet montrait qu’émettre du CO2 devrait « coûter » environ 30 € la tonne pour arriver à un point où l’émetteur de CO2 paye pour les effets négatifs de ses émissions. Ce prix bas du carbone a des conséquences importantes : hausse des importations de charbon en Europe (facilitées par ailleurs par la baisse du prix du charbon) brûlé dans les centrales électriques, net ralentissement du développement d’énergies plus propres (gaz), arrêt de projets de recherche (notamment le stockage et la séquestion du CO2)…
Afin de tenter de « réparer » ce marché, la Commission Européenne a proposé, et obtenu un vote sur un système de « mise en réserve » des permis d’émissions, qui seront retirés du marché de façon temporaire. A ce jour, cette proposition n’a cependant eu qu’un effet modeste sur le prix du carbone.
Le résolution du problème n’en est donc qu’à ses débuts. Pour avancer il faudra
– que d’autres zones que l’Europe se dotent de systèmes similaires, afin de permettre d’accélérer la contrainte sur les émissions sans risque de voir se déplacer ces industries dans les pays les plus laxistes. A cet égard les intentions des USA et de la Chine sont un très bon signal, mais qui doit être transformé..L’alternative serait une taxe sur le carbone importé (difficile à concilier avec les accords de libre échange) ou une taxe sur le carbone consommé (sorte de « tva carbone ») ;
– que le système évolue afin de conduire à un prix du CO2 « économique » (de l’ordre de 30 €/tonne), soit parce que le redémarrage économique ramène le prix sur la trajectoire initialement prévue, soit par une évolution de ce système (prix plancher, taxe complémentaire,…). A l’inverse, il est cependant nécessaire de donner enfin aux industriels un système stable, lisible et sans distorsions de compétitivité : les réformes devront être suffisamment profondes pour régler durablement le problème ;
– enfin, et surtout, faire preuve de pédagogie à la fois sur les conséquences des émissions de CO2 (la crise a fait sortir la question du climat des débats, et rend les conséquences en termes d’emploi d’autant plus sensibles), et les enjeux certes complexes mais absolument essentiels des marchés de carbone.
Entretemps, la situation du climat ne va pas s’améliorer. Et on peut s’étonner que ce sujet semble beaucoup moins mobiliser que, par exemple, la taxe « Tobin », alors que l’efficacité de la réduction des émissions de carbone sur le climat fait nettement plus consensus que l’intérêt d’une taxe sur les transactions…
L'avantage de la taxe est que ce n'est pas le marché qui fixe le prix de la tonne de carbone.
Ca offre plus de visibilité pour les éventuels investissements industriels.