La commission « Stiglitz » rendra prochainement son rapport, mais la presse en présente déjà les premiers éléments.
J’attends de lire le rapport, mais les reprises de la presse et les premiers éléments connus m’en font penser du bien. En peu de mots : le bon indicateur de pilotage d’un pays n’est pas le PIB (qui mesure l’intensité de l’activité économique, sans regarder à quoi elle contribue, ni si cette activité rend ceux qui la réalisent plus heureux) mais plutôt un ensemble plus large d’indicateurs qui mesurent les « produits utiles » de cette activité (amélioration de la santé, éducation, cohésion sociale,…) et en déduisent les « nuisances » (pollution, bruit, stress,…). On peut avoir beaucoup d’effets avec peu de moyens, et le contraire peut être également vrai.
En effet, gérer un pays en se focalisant sur le PIB revient à conduire une voiture en ne regardant que le compteur de vitesse, sans regarder le point d’arrivée, les risques d’accident ou la consommation d’essence. La recherche de l’intérêt général demande au contraire de s’intéresser à tout le reste (Kennedy disait « le PIB mesure tout, sauf ce qui est réellement important »).
On bute alors sur deux difficultés. La première tient à la complexité du débat démocratique, car il faut alors suivre non pas un seul chiffre (le PIB), mais des dizaines d’indicateurs (santé physique et mentale, insertion, bonheur, sentiment de sécurité,…), et à la facon dont ils évoluent en tout temps et en tout lieu. La deuxième difficulté tient à l’existence, ou non, d’outils de mesure (on mesure facilement l’argent qui circule dans une économie, plus difficilement le bonheur, public ou secret, des citoyens). Or il est plus facile de gérer ce qui se mesure – ce qui conduit souvent les organisations à se focaliser non pas sur ce qui est le plus important, mais sur ce qui se mesure le plus facilement…
Au total, et pour reprendre la métaphore sur la conduite automobile, un chauffard qui ne regarde que la vitesse n’a pas besoin d’une grande expérience, ni de réfléchir à la trajectoire ou au point d’arrivée. La solution n’est pas non plus, à mon sens, de tomber dans l’anarcho-nihilisme.
Ce qu’il faut au pilotage d’un pays, c’est une figure capable de poser des débats, dans leur finesse et leur complexité (tels que celui lancé par la commission Stiglitz), et d’avoir une vision, de l’expérience, de la technique et beaucoup de doigté…
Le mot de la fin appartient à John Kay, dans sa chronique du Financial Times, qui dit « In Peter Weir’s film Dead Poets Society, Robin Williams portrays a charismatic teacher obliged to teach from a text by J. Evans Pritchard. Mr Pritchard explains that “if a poem’s score for perfection is plotted along the horizontal of a graph, and its importance is plotted on the vertical, then calculating the total area of the poem yields the measure of its greatness”. Williams tells his pupils to tear these pages from the book, and goes on to inspire them with a genuine love of literature. We should approach bogus quantification in the same way. »
NB : Le rapport est finalement sorti. On peut le télécharger ici.