Payer pour réformer, ou comment faire valoir l’intérêt général de long terme

Par Frédéric Benqué, investisseur




Les plupart des réformes difficiles bénéficient à tous à long terme, mais se heurtent à l’opposition de « perdants » à court terme. Et si la meilleure solution pour réussir à faire valoir l’intérêt général de long terme était d’indemniser ces « perdants » ?
Dans la théorie économique
classique, l’Etat justifie son existence sur la foi de deux principes
fondamentaux.
Le premier, évident, est
celui de l’existence d’un concept intérêt public que l’Etat serait le seul à
pouvoir poursuivre de manière efficace. La police, l’armée, l’éducation, la
recherche, relèvent en tout ou partie de la sphère de l’Etat en tant
qu’éléments constitutifs de l’intérêt public, et sont parfois appelées du nom plus
technique d’activités génératrices d’externalités.
Le deuxième principe, moins connu,
repose sur la continuité de la chose publique. L’Etat agit comme un garant des
contrats sociaux – explicites ou implicites – dans la longue durée – c’est à
dire au delà de la vie de chacun – et c’est la seule entité économique qui ait
la crédibilité pour le faire. En d’autres termes, l’Etat justifie son existence
actuelle par sa présence crédible à long terme.
L’objet de ce court article
est d’illustrer comment cette maîtrise du temps long pourrait être utilisée
pour réformer le présent. L’idée n’est pas nouvelle, elle consiste à proposer
une compensation des rentes – au sens économique du terme – pour surmonter les
blocages sociaux et restaurer le potentiel de création de valeur de l’économie.
Le concept est expliqué en détail dans le livre « La fin des privilèges.
Payer pour réformer » de Jacques Delpla et Charles Wyplosz.
Choisissons un exemple
élémentaire pour en illustrer le principe : le secteur des taxis. Il est
évident que ces derniers ne sont pas en nombre suffisant dans la plupart des
villes françaises.
Une solution naturelle
consisterait à doubler leur nombre, mais pour simple qu’elle soit, cette
solution serait aussi très injuste envers les propriétaires actuels de licence
qui en verraient la valeur réduite de moitié.
Une solution plus complexe
mais plus juste reviendrait pour l’Etat à racheter à chacun sa licence, puis
d’ouvrir la profession à tous ceux capables de passer l’examen, l’octroi de
licence étant aboli à l’avenir. Le « long terme » intervient pour
rendre ce schéma finançable, sous la forme d’une contribution sur les courses à
venir et couvrant le coût financier du rachat initial des licences par l’Etat.
Au point d’arrivée de la réforme, chacun y trouverait son compte, l’utilisateur
qui verrait le nombre de taxis augmenter pour équilibrer la demande, les
nouveaux chauffeurs de taxi qui n’auraient plus à payer leur licence pour
entrer dans la profession – et pourraient consacrer une partie de ces sommes à
de nouveaux services innovants -, les anciens chauffeurs qui verraient leur
licence valorisée au juste prix avant son abolition.
Une objection d’ordre moral est
généralement faite au rachat des rentes par l’Etat. Il ne serait pas juste vis
à vis des autres, ceux qui ne reçoivent rien, qu’une activité économique puisse
à la fois s’appuyer sur une rente et en bénéficier du prix de rachat. Depuis
quand paie-t-on le monopole pour cesser d’en être un ?
Certes mais on oublie aussi
un peu vite que les personnes qui se sont engagées dans une voie l’on fait sur
la foi d’une structure légale établie à la date de leur engagement. Modifier le
cadre légal sans dédommager personne, ne serait-ce pas une injustice plus
flagrante encore ?
Par ailleurs, si le rachat
de la rente conduit ensuite à une situation créatrice de valeur pour l’ensemble
de la société, ce qui compte in fine c’est le bien-être net dégagé par la
réforme. En d’autres termes, si la réforme fait un grand nombre de gagnants au
prix de dédommager un petit nombre de rentiers, le rachat de la rente profite
aussi à ceux qui n’auront rien reçu.
Wyplosz et Delpla montrent
dans leur livre que la même méthode peut être appliquée à un très grand nombre
de réformes cardinales (éducation, retraites, fonction publique, marché du
travail) d’une façon qui permet d’accroître le potentiel de croissance sans
léser telle ou telle catégorie. Nous ne nions bien entendu pas les difficultés
techniques, mais ne serait-il pas intéressant pour l’Etat et pour nous, de
penser au futur quitte à payer au présent ?

À propos

Dédié à l'analyse des questions économiques, sociales et environnementales de long terme, L'Observatoire du Long Terme se fixe pour objectif de donner davantage de visibilité à ces enjeux dans le débat public. Dans ce contexte, il donne la parole à des contributeurs variés, avec pour seul critère le caractère étayé des arguments présentés.

L'Observatoire est indépendant, ne reçoit aucune aide financière et repose sur le volontariat de ses contributeurs, de son bureau, présidé par Vincent Champain et Bruno Fuchs.

Sur le même sujet

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Du même auteur

Gérer le biais technologique pour ne pas le subir

Publié dans Les Echos le 9/4/2024 Accepterions-nous une technologie qui améliore l’accès à la santé, à l’éducation et réduit l’isolement dans le monde mais au...

Simplifier dans la durée

Publié dans Les Echos le 8 février 2024. Le coût de la complexité administrative est estimé à près de 5 points de PIB, et il...

Soyons optimistes pour l’optimisme.

Publié dans Les Echos le 11 janvier 2024 L’année 2023 s’est achevée sur des risques de guerre, de terrorisme, de chômage, de perte de pouvoir...

Quelques rapports de l’OLT

Quelques travaux produits par l'OLT: Rapport "Transition par l'Innovation" : présentation à New Delhi, pack de communication complet, synthese en anglais, infographie en anglais. Rapport "Politique...